Le 3 septembre dernier le Premier ministre, Édouard Philippe, a lancé trois mois de rencontres territoriales sur le sujet très sensible des violences conjugales faites aux femmes. Toutefois, en exposant immédiatement ses propositions, le chef du Gouvernement a renvoyé un sentiment d’inutilité du débat puisque les décisions sont déjà prises. Et les spécificités des femmes handicapées en sont quasiment absentes, tout juste mentionnées dans la proposition « Lancement d’un audit de 400 commissariats et gendarmeries [Il] permettra de détecter des dysfonctionnements qui existeraient à certains endroits et d’y remédier, avec un focus particulier sur les difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap. » L’accessibilité sera-t-elle prise en considération pour la création de « 1.000 nouvelles places d’hébergement et de logement temporaires [et] le lancement d’une plateforme de géolocalisation à destination des professionnels afin d’identifier rapidement les places d’hébergement réservé disponibles à proximité » ? C’est bien à cause de cette carence qu’une jeune femme défenestrée par son compagnon est devenue paraplégique. Le cabinet de la secrétaire d’État chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, évacue rapidement ces questions : « Nous vous remercions de bien vouloir vous rapprocher du ministère de la Ville et du Logement et du secrétariat d’État chargée des personnes Handicapées », nous répond sa porte-parole… C’est une constante chez Marlène Schiappa : son projet de loi d’avril 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes ignorait totalement les spécificités des femmes handicapées. Pis, Marlène Schiappa avait rejeté des amendements considérant timidement les femmes handicapées (lire l’actualité du 22 mai 2018) : « Ces dispositions n’ont pas leur place dans ce projet de loi spécifique, mais elles pourraient s’inscrire dans le cadre plus global d’un projet de loi de la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel ». C’est d’ailleurs cette dernière qui s’était rendue au Sénat le 6 décembre 2018 pour débattre des violences faites aux femmes handicapées, Marlène Schiappa ayant décliné l’invitation tout comme pour le colloque du 14 mars dernier « Femme avant tout! ».
Créée en 2003 par la psychanalyste devenue aveugle Maudy Piot décédée il y a deux ans, Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir (FDFA) a la tâche de porter la parole de celles qui sont handicapées. « FDFA participe au Grenelle des violences conjugales et, dans une approche transversale, à plusieurs des groupes de travail, explique l’une des co-présidentes de l’association, Claire Desaint. Un groupe spécifique travaillera sur les problèmes particuliers aux femmes handicapées qui n’auraient pas été traités. L’association contribuera donc à élaborer des réponses concrètes. » Elle ajoute avoir rappelé la nécessité de l’accessibilité des places d’hébergement, et propose d’en reparler « quand les résultats des groupes de travail seront annoncés. »
Ignoré par les ministères organisateurs lors du lancement de la concertation, le Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation (CLHEE) n’attend rien du Grenelle des violences conjugales faites aux femmes : « Nous pensons, comme les groupes féministes qui se sont déjà exprimés au sujet de ce Grenelle, qu’il n’y pas de véritable volonté politique vis-à-vis de la question de la violence faites aux femmes, exprime sa porte-parole, Elena Chamorro. Les moyens n’y sont pas, ni pour les femmes valides ni pour les femmes handicapées. » Le Collectif relève que le communiqué du Gouvernement les désigne comme des « personnes » et non pas comme des femmes : « C’est assez éloquent par rapport à la perception de ces femmes handicapées, pas tout à fait perçues comme femmes, en réalité. Les spécificités des violences dont les femmes handicapées sont l’objet ne sont pas prises en compte. On fait allusion à elles pour la forme. La politique du handicap de ce gouvernement a contribué encore un peu plus à construire la vulnérabilité des femmes handicapées face aux violences, par une difficulté accrue d’accès à un logement avec la loi Elan, la perte ou baisse de l’AAH en cas de vie en couple, le maintien du modèle d’institutionnalisation. Les mesurettes annoncées sont bien ridicules compte tenu de la réalité », conclut le collectif.
Autre organisation, féministe activiste celle-là, également pas invitée, Osez le féminisme! est dubitative : « Le Grenelle doit durer jusqu’au 25 novembre mais les mesures ont déjà été annoncées, commente sa porte-parole, Cécile Werey. Les ministres disent que le problème, ce n’est pas une question d’argent, alors que la réduction des moyens revient régulièrement depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, avec la menace constante de réduction des budgets. » Osez le féminisme! ne voit rien de bien nouveau dans les mesures gouvernementales du 3 septembre : « Ces annonces sont insuffisantes, que ce soit sur l’hébergement, les audits de commissariat. Le dépôt de plainte à l’hôpital a déjà été promis mais pas réalisé. On nous annonce 5 millions d’euros de budget supplémentaire, c’est absolument ridicule. » Cela représente en effet moins de 50.000 euros en moyenne par département français. « On voit que depuis le début de l’année 106 femmes ont été tuées par leur conjoint, leur compagnon, poursuit Cécile Werey, mais des plaintes de femmes victimes de violences conjugales sont refusées ou classées sans suite. La situation difficile des moyens de la justice n’a pas été évoquée, ainsi que la nécessité de former les professionnels au contact des femmes subissant des violences. » Et parmi elles, celles qui sont handicapées : « Le Grenelle ne fait aucun focus sur les femmes handicapées, dont les spécificités sont très peu connues de la société et des professionnels. Et si l’accessibilité des commissariats est abordée, il faudra voir ce qu’il en est, ainsi que dans les hôpitaux. Par exemple pour les femmes sourdes, il n’y a pas d’interprètes en langue des signes pour les situations d’urgence. Et peu de places accessibles aux femmes handicapées motrices dans les centres d’hébergement, peu d’éducateurs pratiquent la langue des signes, il n’y a pas d’identification des besoins. »
La centaine de rencontres débats organisés jusqu’à fin novembre parviendra-t-elle à changer la donne ? On peut en douter…
Laurent Lejard, septembre 2019.