Question : Le Conseil national Handicap & Emploi des Organismes de Placement Spécialisés (Cheops) vient de tenir son congrès annuel dans une période plutôt bouleversée qui a dû impacter les sujets à l’ordre du jour…
Jean-Pierre Benazet : Les principaux thèmes du congrès portaient sur l’évolution des politiques pour l’emploi, leur traduction réglementaire et les effets sur les organismes de placement que sont les Cap Emploi. On a voulu évoquer des expériences dans d’autres pays européens, notamment en Belgique flamande. On a également abordé la vision par les adhérents de la structuration régionale des Cap Emploi et la gouvernance de ces organismes à l’aune des enjeux futurs. Ce programme chargé a restitué un travail fructueux qui a permis de surligner les points de faiblesse que nous devons améliorer.
Question : Dans ce cadre, comment a été vécue la note des services de l’État proposant de transférer à Pole Emploi l’accueil des travailleurs handicapés ?
Jean-Pierre Benazet : Ce n’est pas tout à fait ça. Je suis dans ce milieu depuis pas mal de temps, j’ai vu les évolutions. J’ai connu la période des EPSR [Équipe de Préparation et de Suite au Reclassement] publiques et privées, parfois on constate qu’il y a des recommencements. Ce dont on s’aperçoit, c’est que la mise en place de l’Agefiph a généré pas mal de progrès mais également des fonctionnements d’organisation qui pouvaient être dissonants par rapport à l’accueil des personnes handicapées et des entreprises. Avec les évolutions de la loi, une personne reconnue travailleur handicapé pouvait être amenée à aller à Pole Emploi et ensuite à Cap Emploi, ce qui causait une perte d’énergie, créait des dépenses et n’était pas efficace. Ce qui a été dit c’est « repositionnons les acteurs et réinterrogeons tout le dispositif ». A l’aune de l’inclusion, qui est une préoccupation de l’Europe, c’est une approche de droit commun et ensuite pour les personnes qui ont besoin d’un accompagnement spécifique, on le déclenche en complémentarité. Cela veut dire un premier accueil chez Pole Emploi avec un pré-diagnostic et s’il montre un besoin d’accompagnement spécifique, des employés de Cap Emploi interviendront dans les agences de Pole Emploi.
Question : Qu’est-ce qui pourrait réellement changer, alors que le directeur général de Pole Emploi reconnaissait il y a deux ans que son organisme n’était pas outillé pour recevoir les travailleurs handicapés et ses agents pas formés dans un domaine complexe ? Actuellement, ces travailleurs doivent ouvrir plusieurs portes pour trouver un accompagnement.
Jean-Pierre Benazet : Toute modification peut générer des travers. Si on travaillait côte à côte, cette imperfection se réaliserait. Mais là, le but est de partir des besoins de chaque personne, de faire un diagnostic partagé avec des outils communs, et après de positionner le parcours de la personne. Le directeur de Pole Emploi, Jean Bassères, considère que les travailleurs handicapés constituent une « niche » qui demande des outils spécialisés. Donc il ne veut pas faire la fusion [de Cap Emploi dans Pole Emploi], sinon la spécificité du handicap serait diluée. Là, il le confie à un outil spécialisé qui a fait ses preuves. Si on fait ce lieu commun d’accueil, c’est une diffusion de culture commune entre Cap Emploi et Pole Emploi, avec une gouvernance partagée dans laquelle les organismes de placement spécialisé seront représentés. On a réalisé des enquêtes auprès des travailleurs et des entreprises, ce secteur a besoin de lisibilité, de fluidité, de complémentarité. Dans le dispositif précédent, l’Agefiph se mêlait d’opérationnel, chacun pouvait marcher sur les plates-bandes de l’un ou de l’autre.
Question : Comment serait constituée cette gouvernance pour que les spécificités des Cap Emploi demeurent et qu’il y ait une fluidité des relations avec Pole Emploi, que le réseau Cap Emploi continue d’être financé alors que le ministère des Finances fait pression pour mettre la main sur les 650 millions d’euros de contribution versés par les employeurs à l’Agefiph et au FIPHFP ?
Jean-Pierre Benazet : Il faut qu’il y ait une traduction officielle, qui n’est pas entièrement énoncée et formalisée. Nous sommes dans les travaux préparatoires d’élaboration de ce projet commun, des lieux d’accueil commun. On va aller vite en prenant le temps. On a créé un comité de pilotage national, avec des sites expérimentaux, des chefs de projet de chaque côté, et des retours aux instances décisionnaires pour que tout le monde avance en même temps. C’est une volonté partagée de fonctionner sur un vrai partenariat. Le fait que le ministère des Finances ait toujours tendance à récupérer des fonds, c’est un peu son rôle… Mais je pense que, dans ce qui n’est pas encore finalisé, on nous a assuré qu’il y aurait maintien des sommes engagées. Quel est le meilleur circuit de financement, le plus adapté, ce n’est pas encore tranché. Ce sera toujours un combat permanent de se battre pour le maintien des sommes allouées.
Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2019.