Bernard Stasi, ancien député, ministre et parlementaire européen, est Médiateur de la République depuis 1998. Il a présenté au gouvernement, le 16 février 2004, un rapport proposant de placer la lutte contre toutes les discriminations sous l’égide d’une Haute Autorité. Bernard Stasi précise l’impact qu’elle pourrait avoir en direction des personnes handicapées victimes d’actes discriminatoires…
Question : Comment définissez-vous les discriminations ?
Bernard Stasi : Il y a différentes façons de définir le champ de la discrimination, en faisant référence à l’édifice législatif et réglementaire ou en ayant une approche plus ouverte. C’est cette option que nous avons prise en proposant d’inclure le mot « notamment » devant l’énumération du genre de discrimination. Nous incluons également celle qui résulte de l’état de santé. On réunit tous les domaines dans une même autorité, avec le champ le plus vaste des discriminations connues.
Question : Quel peut être le champ de la discrimination vis-à-vis des personnes handicapées: refus de service dans un restaurant, rejet d’une candidature à un emploi, impossibilité d’utiliser un service public parce qu’il n’a pas été conçu en fonction des besoins spécifiques, absence de représentation dans les médias, défaut de publication du décret d’application d’une loi ?
Bernard Stasi : La discrimination s’apprécie au cas par cas, elle ne peut être incluse dans la Loi. La définition de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations se fait à droit constant [sans changement législatif N.D.L.R]; ultérieurement, elle pourra formuler des propositions d’évolution de la loi. Le dispositif actuel, législatif et judiciaire, est complexe, suffisant dans l’absolu, insatisfaisant en pratique. Il est difficile d’agir en direction de la Fonction Publique quand elle ne respecte pas l’accès à l’emploi ou à ses services; la Haute Autorité pourra lui rappeler la réglementation, mettre en évidence un manquement. Elle pourra dénoncer, rendre public, elle aura le devoir de s’exprimer, par exemple, sur la représentation des personnes handicapées dans les médias. Je l’ai mis en exergue dans mon rapport : « Le champ de compétence de l’autorité couvrirait tous les comportements discriminatoires prohibés, dans tous les domaines de la vie économique et sociale, sans exclure l’administration. Il convient d’éviter de proposer dans la loi une définition trop précise de son champ de compétence. Des comportements jugés tolérables aujourd’hui pourront ne plus l’être demain ». La Haute Autorité doit avoir une souplesse d’intervention et pouvoir répondre à toutes les demandes, qu’elles concernent les activités publiques ou privées. Sur ces dernières, il est difficile, en droit français, de faire intervenir une autorité administrative indépendante : le Ministère de la justice est réticent à sanctionner le refus d’un exploitant privé d’accepter une investigation dans ce cadre. Pourtant, s’il n’y a pas un pouvoir d’investigation fort, l’impact de l’intervention de l’Autorité sera restreint. On peut imaginer que la Haute Autorité aura un pouvoir d’intervention important vis- à- vis des grandes entreprises, notamment grâce à la publicité de la dénonciation d’un acte.
Question : Peu de situations de discrimination envers les personnes handicapées sont jugées, les Parquets classant généralement les plaintes. En quoi une Haute Autorité peut- elle contraindre des magistrats à intervenir alors que visiblement la société déplore ces discriminations mais ne les estime pas suffisamment graves pour mériter une sanction ?
Bernard Stasi : On a tous eu affaire à la Justice, le système est engorgé, un procès coûte de l’argent. Actuellement, la personne discriminée a du mal à récolter des éléments de preuves et les Parquets classent souvent les plaintes sans suite. L’orientation que je préconise est de tenter une médiation en respectant le choix et la volonté de la victime. Prenons l’exemple de l’accès au logement: une personne rejetée veut- elle obtenir un appartement ou mettre une discrimination en exergue? La Haute Autorité doit respecter son choix et l’accompagner dans la médiation ou la voie judiciaire. Actuellement, il y a un consensus national, les partis politiques représentés au Parlement sont unanimes à l’idée de créer une Haute Autorité de lutte contre les discriminations. Le Premier Ministre a reconnu qu’il y avait des problèmes dans la fonction publique. La Haute Autorité aura du poids sur l’Administration. Vis- à- vis du secteur privé, elle aura une force de persuasion et des grandes entreprises comme E.D.F sont prêtes à s’engager. Elle pourrait dénoncer l’Etat s’il ne traduit pas les nouvelles lois dans les faits. La référence en matière de lutte contre les discriminations doit être la Haute Autorité. Cela dépendra des moyens que lui donnera l’Etat et le gouvernement. Le Président de la République a affirmé qu’il voulait avancer rapidement sur ce dossier, pour que la loi instaurant la Haute Autorité soit votée d’ici à la fin de l’année. La volonté politique est forte, elle ne doit pas décevoir.
Propos recueilllis par Laurent Lejard, mars 2004.