L’Etablissement Régional d’Enseignement Adapté de Vaucresson (92), le Lycée Toulouse Lautrec, doit faire l’objet d’une importante rénovation. Le Conseil Régional d’Ile de France, qui en assure la gestion, a lancé en 2001 un concours d’architecture afin d’élaborer le nouvel établissement. En oubliant de consulter au préalable les élèves, leurs parents, les enseignants, les soignants et les autres personnels : le choix du projet architectural a été effectué en secret par un jury dans lequel figuraient, outre des professionnels, un seul élève et l’ancien proviseur de l’établissement. Ce projet n’a été accompagné d’aucune réflexion sur un nouveau projet pédagogique.
24 ans après son installation à Vaucresson, l’actuel lycée Toulouse Lautrec est remarquable à au moins deux titres : presque tous les locaux destinés aux élèves sont de plain pied (seule l’infirmerie nécessite d’emprunter un ascenseur) et il mêle 70% d’élèves handicapés moteurs à 30% de valides. Les classes s’étalent du cours préparatoire au BTS.
Le projet de rénovation retenu regroupe sur deux étages l’ensemble des salles de classe, réservant le rez-de-chaussée à des lieux d’activité et services communs. Ce choix a suscité un tollé de la part de la principale association de parents d’élèves (APETL) qui déplore une régression prévisible de la qualité de vie des enfants et des adolescents.
Les parents redoutent que les allées et venues de 250 handicapés moteurs dans des ascenseurs entraînent une perte de temps rendant impossible l’accès aux récréations par exemple, des risques d’embouteillage de fauteuils roulant ou de pannes, des problèmes de maintenance du matériel et des accidents. Elle constate que la Région n’a pas été en mesure de s’appuyer sur une réalisation similaire en Europe pour justifier la construction sur trois niveaux. L’ APETL soulève également une discrimination grave : en cas d’incident, les élèves valides pourront sans difficulté évacuer le bâtiment alors que les jeunes handicapés seront « stockés » sur des aires d’attente, tributaires des pompiers, de leur rapidité d’intervention et de leur capacité à traiter dans l’urgence plusieurs dizaines de personnes sur fauteuil roulant manuel ou électrique, voire allongées sur des brancards. Nombre d’élèves relèvent en effet d’un handicap lourd et suivent des soins dans l’établissement entre deux cours.
Mais le projet retenu a également suscité, de la part des riverains de cette banlieue huppée, des attitudes et des propos mesquins basés sur la crainte que le maintien d’une « école pour handicapés » à côté de leur terrain de golf ne fasse baisser la valeur de leur patrimoine immobilier. Ils ont exigé que l’établissement et ses nouveaux bâtiments soient masqués par un aménagement paysager et des modifications architecturales entraînant une forte augmentation du devis qui dépasse les 68 millions d’euros. Un parent d’élève rapporte même ces paroles injurieuses proférées par un riverain: « Le feuillage des arbres n’est pas persistant, en hiver on les verra ! « , ‘les’ désignant évidemment les élèves handicapés. Le Président du Conseil Régional s’interroge d’ailleurs sur l’opportunité d’engager des poursuites pour propos discriminatoires.
Personne ne conteste la nécessité de rénover un établissement devenu vétuste. Construit à la fin des années 70, il témoigne de standards de confort et vie aujourd’hui dépassés. Le lycée a été conçu alors que les fauteuils roulants électriques étaient peu nombreux; actuellement, ils sont innombrables dans les couloirs, raccordés à des multiprises pour recharger leurs batteries. Les élèves utilisent massivement ces fauteuils électriques pour éviter la fatigue due à la longueur des couloirs (6 kilomètres au total). Les salles de bains sont insalubres, dégradées malgré plusieurs réfections qui ne résistent pas à une mauvaise conception architecturale. Les salles d’activités destinées aux internes exhalent la tristesse.
La Région Ile-de-France a affiché sa volonté de faire de Toulouse-Lautrec un établissement pilote. Elisabeth Gourevitch, vice-présidente du Conseil Régional, a pris en main ce dossier depuis deux mois, en affirmant sa volonté de faire aboutir le projet architectural retenu mais sans passer en force. La protestation d’une partie des parents d’élèves et d’autres élus a déjà contraint le Conseil Régional à différer le vote du projet en séance plénière. La Région est toutefois tenue de réaliser le projet que le jury a choisi sous peine de fortes pénalités et indemnités. Elisabeth Gourevitch doit gérer avec diplomatie une situation tendue et complexe qui met en péril la survie même de l’établissement : s’il n’est pas rénové dans un délai proche, il pourrait être fermé pour non-conformité aux actuelles normes de sécurité. Les riverains odieux auraient alors gagné, le golf mitoyen pourrait certainement s’étendre, et les maisons chics et chères fleurir… sans handicap.
Laurent Lejard, juin 2004.