Le Mouvement Des Sourds de France a réuni mi-mai à Paris plusieurs centaines de sourds, malentendants et entendants pour leur présenter le projet de loi d’égalité des droits et des chances. Cette tâche est revenue pour l’essentiel au Secrétaire Général du M.D.S.F, René Bruneau, qui a voulu d’emblée clarifier la place des déficients auditifs parmi la population des personnes handicapées : « J’entends des sourds affirmer qu’ils ne sont pas handicapés. Mais alors ils ne peuvent pas conserver leur carte d’invalidité, leurs allocations, leurs avantages fiscaux ! ». Pour René Bruneau, les sourds sont handicapés et le débat sur la notion de « personnes en situation de handicap » et « personnes handicapées » est purement sémantique : « Il faut arrêter, et reconnaître qu’il y a quelque chose qui nous empêche de faire des choses dans la vie courante : la communication. Les sourds ne peuvent pas participer à la vie citoyenne; par exemple, les débats des conseils municipaux pourtant ouverts au public ne sont pas compris par les sourds et les malentendants. La citoyenneté commence là : les sourds doivent savoir et comprendre ». Pour cela, le M.D.S.F demande le sous- titrage intégral des émissions des chaînes publiques ou privées de la télévision française. La loi d’égalité des droits et des chances en affirme le principe mais ne prévoit pas de mesures concrètes. Comment alors voter en pleine connaissance de cause ? ». La même question est posée en matière d’éducation : quelle est la liberté de choix offerte à des parents auquel on n’explique pas ce qui est proposé à leur enfant ?
Le droit à compensation apparaît flou pour le M.D.S.F qui s’interroge également sur sa portée pratique : « Actuellement, c’est le sourd qui installe à ses frais le signal lumineux qui remplace la sonnette de la porte d’entrée ! ». La prestation compensation, présentée comme universelle, couvrira- t-elle ce genre de dépense, financera- t-elle à 100% les prothèses auditives ? La reconnaissance de la langue des signes française comme langue enseignée et présentée lors du Baccalauréat est saluée comme une victoire. A la fin de l’exposé de René Bruneau, on pouvait s’attendre à un débat avec le public sur la compensation et l’accessibilité; il n’en fut rien, les quelques questions posées étant plutôt des affirmations militantes. Les Centres d’information sur la surdité sont considérés comme partiaux, faisant une place trop importante à l’aspect médical de la surdité et de la malentendance; il leur est reproché de ne pas employer de sourds, condition considérée comme essentielle pour une information objective reposant une vie vécue. Cette contestation est à rapprocher du rejet violent de l’implantation cochléaire : les intervenants revendiquent son interdiction avant l’âge de 18 ans, René Bruneau évoquant plutôt le début de l’adolescence.
Jérémie Boroy, président de l’Unisda (Union nationale pour l’insertion sociale du déficient auditif), a sur ce sujet d’une opinion diamétralement opposée : « L’implant est un apport fantastique pour les enfants. Il doit être proposé dans le cadre d’un projet familial, en discutant les choix possibles ». Jérémie Boroy estime qu’il faut réduire dans ce domaine la prédominance des médecins pour davantage informer et écouter les parents. En ce qui concerne le projet de loi d’égalité des droits et des chances, l’Unisda ne partage pas la philosophie du texte : « L’aspect charitable de l’action en faveur du handicap est perpétué, les priorités sont mal déterminées. Actuellement, des sourds peuvent obtenir le financement de prothèses auditives dans le cadre de l’accès à l’emploi, avec l’aide de l’Agefiph. Ce financement doit être ouvert dans tous les cas ». Jéremie Boroy est inquiet quant à la prise en charge des aides humaines : « Le rapport Briet- Jamet [qui définit les compétences de la Caisse qui doit gérer les aides aux personnes handicapées N.D.L.R] la restreint aux tierces- personnes. Il n’évoque pas les interprètes en langue des signes, les codeurs en langage parlé complété ou l’aide à la prise de notes ». L’Unisda demande que les informations sonores disposent d’une version textuelle ou visuelle. Cela concerne autant les émissions de télévision que les annonces dans les transports ou autres services ouverts au public : « La loi doit intégrer une définition de l’accessibilité pour les sourds et les malentendants. Cette question va au-delà de l’accès à l’information ». La reconnaissance officielle de la langue des signes française sera porteuse de contraintes. On sait qu’elle n’est pas unifiée et que son vocabulaire varie d’une région à l’autre. Sa présentation lors de l’examen d’un diplôme national comme le Baccalauréat oblige à codifier cette langue. Jéremie Boroy rappelle qu’un ancien ministre de l’éducation nationale, Jack Lang, avait demandé que soit élaboré un référentiel et considère comme logique que la L.S.F n’appartienne plus uniquement aux seuls sourds.
Du côté de la Fédération Nationale des Sourds de France, on affirme que tous les enfants sourds « ont droit à la Langue des Signes, et à un enseignement de cette langue pour elle- même, par des locuteurs confirmés, dans tous les établissements et services éducatifs à destination de l’enfance sourde ». Si la Fédération évoque l’éducation bilingue L.S.F/ Français, son propos est essentiellement consacré à la langue des signes, sa reconnaissance dans l’enseignement, sa diffusion dans les familles, la traduction signée de l’ensemble des émissions des chaînes publiques de télévision. Son Secrétaire Général, Patrick Fourastié, déplore l’insuffisance des amendements en faveur des sourds et malentendants : « Depuis deux mois, j’ai multiplié les interventions auprès du président de l’Assemblée Nationale, Jean- Louis Debré, de la Commission des affaires sociales et de députés concernés pour mieux adapter les justes mesures dans le projet de loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Il pourra très bientôt vérifier s’il a été entendu…
Laurent Lejard, mai 2004.