Un hall d’accueil blanc, clinique, que la couleur de la moquette peine à réchauffer, et une grosse pendule blanche qui envoie tous les quarts d’heure sa quinzaine de visiteurs vers une immersion silencieuse dans les signes; tel est le cadre de l’exposition Scènes de silence proposée à Paris par la Cité des Sciences et de l’Industrie de la Villette jusqu’au 14 mars 2004. Les visiteurs sont d’abord plongés dans le silence : l’animateur, un comédien sourd de l’International Visual Theatre (I.V.T), leur demande de coiffer leurs oreilles d’un casque anti- bruit très efficace. Chacun se retrouve confronté à ses propres sons internes, telles la respiration et la résonance du corps au contact d’un objet. Les participants se retrouvent autour d’une table éclairée par le plafond sur laquelle ils posent leurs paumes : le guide sourd leur montre par l’exemple comment mettre les mains au travail pour donner un sens compréhensible à leur gestuelle. On bat des mains, on les agite, on crée des animaux au moyen de la projection par ombre chinoise. L’exercice est inhabituel et s’avère éprouvant pour les muscles des doigts et des bras, il met en évidence la dextérité et l’endurance acquises par les sourds dans leur pratique de la langue des signes.
Les visiteurs sont ensuite invités à travailler sur l’expression du visage, en plaçant leur tête au centre d’un cadre lumineux. Des images projetées suscitent de l’auditoire des réactions amusées ou effrayées, et des actions comme souffler les bougies d’un gâteau. Chacun est invité à reproduire une réaction en fonction de l’image qui lui est montrée. S’ensuit une galerie des attitudes dans laquelle les visiteurs doivent deviner le mot ou l’expression qui correspond au comportement du guide; chacun est ensuite invité à jouer le jeu de l’affalement, de la curiosité, du sérieux, etc. Enfin, le jeu de gestes donne une partie des clés du signe : un tableau en présente quelques- uns, désignant des parties du corps qui sont ensuite montrées en images et le jeu consiste à deviner quel signe lui correspond. Le visiteur comprend- là que les signes ont une étymologie au même titre que les mots: ils ont été forgés comme une description symbolique d’un objet ou d’une action dont il est possible de comprendre le sens par la réflexion intellectuelle. L’expérience se termine au bar des signes dans lequel le guide donne un nom en signe à chaque visiteur qui peut s’attarder autour d’un verre (payant) tout en consultant quelques ouvrages spécialisés.
La philosophie de Scènes de silence consiste à sensibiliser le public à la communication non- verbale, en mettant en valeur les possibilités offertes par le geste ou la mimique. « On peut dialoguer sans parler, explique Viviane Aubry de la Cité des Sciences, et avoir un regard sur le handicap qui change ». Cet aspect semble être la seconde raison d’être de l’exposition, apportant une pierre à la cohabitation entre personnes handicapées et valides. Parmi ces derniers, Sami, un adolescent, a apprécié l’expérience : « C’était bien, même si ça fait bizarre de ne pas parler. J’ai aussi appris quelques signes ». Françoise, la cinquantaine, a eu un peu de mal à entrer dans le jeu : « Il faut retirer toutes ses inhibitions, le casque anti- bruit est oppressant. On se détend et on se livre à l’expérience. Le guide sourd est très expressif, et le groupe de visiteurs a participé, une cohésion s’est dégagée : on s’observe et on y va ».
Pourtant, ces deux spectateurs avouent n’avoir jamais eu de contacts avec des sourds. Ces visiteurs auraient été tentés de poursuivre le dialogue avec les guides sourds, mais l’absence d’interprète constitue un réel obstacle et chacun retourne à son propre mode de communication. La rencontre avec les sourds sur leur terrain a eu lieu, fugace, presque irréelle dans l’univers aseptisé voulu par le scénographe, mais quel lendemain connaîtra-t-elle ?
Laurent Lejard, Janvier 2004
L’exposition Scènes de silence se tient jusqu’au 14 mars 2004 à la Cité des Sciences et de l’Industrie, 30 avenue Corentin Cariou à Paris. Du mardi au samedi : premier départ 10h15 – dernier départ 17h15, le dimanche : premier départ 10h15 – dernier départ 18h15. Réservations (payantes et obligatoires) : 08 92 69 70 72. Les visites s’effectuent par groupe de 12 personnes maximum, avec un départ tous les quarts d’heure. Une visite dure entre 45 minutes et 1 heure.