Antoine Moreno est arrivé en France durant sa petite enfance. De Malaga (Espagne), la ville de ses parents, il connaît peu de choses. Son père, militant anarchiste, a participé à la Guerre civile espagnole qui déchira le pays de 1936 à 1939 et se conclut par la victoire du fascisme incarné par le général Franco. Interdit de sortie du territoire, le père d’Antoine usa d’un subterfuge en s’engageant sur un navire marchand. La famille s’établit en 1960 à Montpellier et découvrit la solidarité : les militants locaux du Parti Communiste Français organisaient des actions de soutien et d’entraide en faveur de la main- d’oeuvre immigrée : « Les communistes français et les anarchistes espagnols réalisaient ensemble beaucoup de choses ». C’est au contact de ces militants qu’Antoine est entré dans l’action politique.
Sauf qu’il est devenu aveugle durant sa jeunesse. A 18 ans, alors apprenti chauffagiste, il a des troubles de la vue. Mal diagnostiqués, ils ne sont pas soignés. On lui apprendra plus tard qu’une rétinite pigmentaire dévore sa vision. En peu de temps, Antoine Moreno devient aveugle. C’est à Paris qu’il entame sa rééducation professionnelle et fonctionnelle, au centre de Marly- le- Roi; il entre à l’Assistance Publique- Hopitaux de Paris comme agent hospitalier (il commence à travailler en tant que développeur de radiographies !) et y est encore. Actuellement, il partage sont temps de travail entre l’activité syndicale et le handisport : marathon, tandem cycliste, escalade. Antoine Moreno dispose encore du mi- temps sportif qui lui avait été accordé quand il officiait au plus haut niveau de la compétition. Ce mi- temps est intégralement consacré à la défense de ses camarades de travail; il siège notamment à la Commission Paritaire Administrative des personnels hospitaliers.
Antoine Moreno participe également aux travaux de la commission Handicap créée il y a cinq ans au sein du Parti Communiste Français: « Elle comporte une vingtaine de personnes handicapées, de tous horizons et déficiences. Cela permet de mettre en commun des expériences, de réfléchir ensemble ». Pour autant, Antoine Moreno regrette que la commission n’ait pas encore été en mesure de concevoir un document d’orientation, fondateur de l’expression politique de son parti sur la question du handicap: « Nous n’avons rien dit sur la guerre, celle d’Irak comme les guerres qui secouent l’Afrique et mutilent ses habitants ».
Le militantisme ne lui est pas facile : « Le parti se réduit et manque de moyens. Parfois, quand je distribue un tract, je ne sais pas ce qu’il contient. Mon accès à l’information se réduit à ce que l’on me lit et aux échanges verbaux. Cela ne fait que trois semaines que je peux lire l’Humanité sur Internet, avec des difficultés liées à la conception des pages. Il y a une grande méconnaissance de la déficience visuelle et des besoins spécifiques qu’elle génère ». Il se forme actuellement sur Jaws au sein du club informatique de l’Association Valentin Haüy, et a écrit aux responsables techniques du site web du quotidien communiste pour les inciter à améliorer l’interface de consultation.
Antoine Moreno n’a pas brigué, pour l’instant, de mandat électoral : « On m’a demandé de me présenter aux municipales de 1995 à Vitry- sur- Seine (94) mais j’entamais ma préparation aux Jeux Paralympiques d’Atlanta 1996. Aujourd’hui ma réponse serait différente ». Parce que, côté sport, Antoine est en train de raccrocher : « J’espère boucler en moins de trois heures le prochain Marathon de Paris, ce sera probablement ma dernière sortie officielle »…
A 51 ans, ce militant politique, syndical et handisportif a une vie bien remplie et espère bien devenir un citoyen à part entière : « Actuellement, le gouvernement donne la parole aux experts, il ne laisse pas s’exprimer le débat public. Cela conduit à des mascarades comme les Etats- Généraux du sport ». Pourtant, Antoine espère encore en la démocratie, celle pour laquelle il lutte aux cotés de ses camarades.
Laurent Lejard, août 2003.