« Une belle leçon de courage », ainsi concluait le reportage de Télé Guadeloupe relatant l’arrivée à Pointe- à- Pitre d’un voilier skippé par trois handicapés moteurs. Un exploit accompli par des « infirmes » nous dit la journaliste. Infirmes dont l’un revendique l’exemplarité d’avoir fait du bateau entre Marseille et la Guadeloupe: il ira même porter cette bonne parole au sein de centres de rééducation…
Qu’il soit toutefois permis de s’interroger sur l’intérêt de ce genre d’exploit. Faire aménager par des subventions et du mécénat un voilier dont on est propriétaire afin de naviguer de manière autonome en se passant d’équipier valide n’est pas une prouesse, c’est une adroite compensation du handicap. Traverser l’Atlantique en faisant escale dans les diverses îles qui parsèment le parcours n’a aujourd’hui rien d’exceptionnel. Que cette traversée puisse être effectuée par deux paraplégiques et un amputé fémoral démontre, s’il en était besoin, que la voile hauturière est accessible à tous. Parce que voguer de port en port comme au travers des mers et des océans, des centaines de personnes handicapées l’accomplissent dans le cadre de leurs activités de loisirs et elles n’en font pas un plat.
Naguère, on nous assénait encore l’ascension d’une montagne himalayenne par un paraplégique. Si quelqu’un a été héroïque dans l’affaire, c’est certainement le sherpa qui le porta sur ses épaules. Aujourd’hui, la mer est à la mode chez les « conquérants de l’inutile », qu’ils soient valides ou handicapés. On peut toutefois objecter qu’il y a peut- être plus d’héroïsme à se lever chaque matin pour aller affronter nos villes inaccessibles. Mais ces exploits là ne font pas la une des journaux et n’entreront jamais dans le Guinness des Records…
Laurent Lejard, janvier 2003
Note : « Conquérants de l’inutile » est le titre du récit autobiographique de l’alpiniste Lionel Terray, qui participa notamment aux côtés de Maurice Herzog et Louis Lachenal à l’ascension de l’Annapurna en juin 1950.