Le 28 novembre 2002, Gilles de Robien, Ministre de l’équipement, du logement, des transports, du tourisme et de la mer, a érigé Beauvais en ville- pilote de l’accessibilité. La volonté du Ministre était de faire du chef- lieu de l’Oise un « laboratoire en vraie grandeur » des adaptations utiles aux personnes handicapées. Depuis, les élus et les techniciens municipaux ont mis en chantier ou réalisé une série d’actions regroupées dans un plan triennal…
Répondre à la demande. « Le Maire, Caroline Cayeux, nous a demandé de concevoir des solutions pratiques, explique le directeur des Espaces Publics à la ville de Beauvais, Marcel Rodriguez. Gilles de Robien voulait pour sa part privilégier les transports et la circulation ». Ce ne sont pas les sollicitations qui ont manqué : « Des propositions nous ont parvenues de partout, provenant d’industriels ou d’inventeurs » commente Serge Ethève, directeur du Centre Communal d’Action Sociale. « Nos partenaires nous ont félicité, explique Claire Beuil, adjointe au Maire chargée de la famille et de la santé, mais nous n’avons rien eu de concret. Aucun partenariat privé n’a pu être réalisé. Ni la Région, ni le Département ne nous aident sur ces dossiers. Nous n’avons pas davantage de soutien technique de ces collectivités ou des services de l’Etat. Nous avons été en relation avec la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité dirigée par Catherine Bachelier mais sans obtenir de soutien particulier ». Catherine Bachelier confirme que l’administration dirigée par Gilles de Robien ne contribue pas aux investissements d’accessibilité réalisés à Beauvais en précisant que le ministère a prévu une subvention pour l’étude d’un plan local de déplacements et que le Prédit (organisme qui dépend à la fois du ministère des transports et de celui de la recherche) devrait contribuer au financement des bornes TOV au titre de l’innovation. C’est avec ses fonds propres que la ville a travaillé : un millions d’euros seront consacrées sur 3 ans aux réalisations pilotes.
« Les associations beauvaisiennes étaient partantes, précise Claire Beuil, mais elles ont été déçues par le manque d’argent ». « Je m’imaginais que Beauvais aurait des moyens permettant de faire des choses extraordinaires », complète Jean- Marie Le Sueur, délégué départemental de l’Association des Paralysés de France. Cette déception passée, la difficulté de faire travailler ensemble de nombreuses associations est apparue : « Des réunions de travail se faisaient avec trop de monde, estime Hubert Fouché, militant de l’A.P.F, certaines personnes ne représentaient en fait qu’elles- mêmes ». Le cercle s’est progressivement réduit à quatre associations couvrant tous les handicaps : A.P.F (handicap moteur), A.P.E.I (handicap mental), Fil d’Ariane (déficience visuelle) et Surdipole (sourds). Cette dernière, qui n’est pas basée à Beauvais, n’a fourni en fait aucune proposition et la déficience auditive n’a pas été traitée dans le cadre ville- pilote.
Première innovation. Le passage piétons équipé d’une borne Toucher- Ouie- Vue (TOV) est la création de Beauvais. L’A.P.F et Le Fil d’Ariane ont participé à l’élaboration du projet. Il s’agit de la super- signalisation d’une traversée de rue lorsqu’elle n’est pas dotée de feux tricolores : dès qu’un passant s’approche de la borne, une caméra de détection déclenche des panneaux clignotants de signalisation et un éclairage encastré bordant les bandes blanches. Un aveugle équipé d’une télécommande (identique à celle qui est diffusée par la société E.O Guidage) et qui l’actionne dispose en plus d’une annonce verbale de la localisation du passage piéton et allonge le temps de fonctionnement des panneaux clignotants. Durant la traversée, un signal sonore (dont le niveau est réglable en appuyant à répétition sur la commande) retentit. Une bande rugueuse transversale permet de conserver la direction à suivre, ce qui s’avère important lorsque la traversée se fait en biais par rapport au trottoir. Ce sont les services techniques de la ville qui ont pour l’essentiel réalisé le prototype de ce passage piéton sécurisé. Ils ont également essuyé les plâtres : le Maire souhaitait un passage surélevé pour réduire la vitesse des voitures, mais le bruit de roulement généré gène le voisinage, obligeant les techniciens à amortir le dénivelé au moyen d’une bande de résine biseautée.
La société G.H.M a réalisé les poteaux qui ont été dessinés par Françoise Persouyre : ce designer a puisé son inspiration dans l’art nouveau pour concevoir un pylône et des poteaux élégants. La boule qui surmonte ces derniers est blanche afin de contraster avec l’environnement. Bien évidemment, ces passages sont dotés de bandes podotactiles et abaissés. Cette réalisation a été primée deux fois en novembre 2003 : elle a reçu le prix Territoria lors du Salon des Maires et celui de la Gazette des Communes. Selon G.H.M, le prix unitaire d’une traversée avec borne TOV est de 34.000 euros; il pourrait être ramené à 15.000 euros si le procédé connaissait une plus grande commercialisation.
Les déplacements. Le premier chantier ouvert par la ville, c’est l’aménagement de la voirie. Ce travail de mise en accessibilité est conduit depuis une dizaine d’années, en tenant compte de l’évolution de la réglementation. Dans le cadre ville- pilote, Beauvais réalise des parcours piétonniers reliant les activités essentielles à la vie des Beauvaisiens : le premier joint la gare, dont la voirie est en cours de requalification, au centre- ville (Mairie et secteur piétonnier concentrant les activités commerciales, de services et de loisirs) par un cheminement empruntable par une personne aveugle ou en fauteuil roulant. Toutes les traversées de rues sont ou seront équipées de passages signalés (abaissé de trottoirs, bande podotactile, poteaux délimitant le passage et empêchant le stationnement automobile) et de quelques passages sécurisés. La voirie de plusieurs secteurs sera rénovée : Argentine (2006), Saint- Jean et Saint- Lucien (2007) et Cathédrale (2006). Les rues ou trottoirs qui cernent cette église spectaculaire (la plus haute voûte gothique au Monde), sont pavées et très pénibles à circuler; la ville veut opter pour un dallage esthétique, tel celui qui a été réalisé devant l’église Saint- Etienne en passant outre les atermoiements de l’architecte des bâtiments de France et les protestations des riverains…
En fonction des demandes provenant des associations d’usagers, des plans inclinés sont réalisés, parfois provisoires dans l’attente d’une réalisation définitive en dur. L’industriel du mobilier urbain, Jean- Claude Decaux, natif de Beauvais, doit prochainement fournir un nouveau modèle de sanisette accessible en fauteuil roulant et avec instructions en braille. Les deux premiers exemplaires seront installés près de l’Hôtel de Ville et de la gare ferroviaire.
Les autobus urbains commencent à être remplacés par des véhicules accessibles (plancher bas, palette, emplacement fauteuil roulant), des Van Hool qui sont auréolés du titre de « bus de l’année 2003 » décerné par les journalistes de la presse professionnelle. « Nous avons présenté ces bus en novembre dernier et il a fallu ensuite six mois au service des mines pour les homologuer » précise Marcel Rodriguez. Les deux premiers bus circulent depuis le 1er août sur la ligne 3. Pour que les usagers sachent quel véhicule est accessible, la ville a demandé qu’ils soient d’une livrée différente des autres, bleu foncé au lieu de blanc. « Nous pensons que tous les bus seront accessibles dans les sept ans qui viennent » complète Marcel Rodriguez. Pour les grands handicapés, un service de transport spécialisé (Handicar) dessert la ville et une grande partie du département; il est géré par le Conseil Général.
En matière de stationnement, le nombre d’emplacements réservés aux véhicules des personnes handicapées est élevé : 250 pour 60.000 habitants, soit en proportions sept fois plus qu’à Paris! Ils sont tous marqués en bleu, la plupart sont de larges dimensions, et le stationnement y est gratuit. Comme partout en France, le respect de ces emplacements est aléatoire malgré leur forte visibilité. La municipalité mise à la fois sur des actions de sensibilisation menées avec des associations et le Conseil communal des jeunes, une pédagogie relayée dans les publications municipales et la répression demandée aux policiers nationaux ou municipaux. Des citoyens s’en sont plaints à la Mairie, sans obtenir la levée de leur sanction. Après l’avoir étudié, la ville a rejeté l’idée de protéger les places réservées au moyen d’arceaux télécommandables, les solutions proposées n’apparaissant ni fiables ni économiquement supportables ni adaptées à une ville qui attire de nombreux non- résidents.
Un foisonnement d’initiatives. Depuis un an, une dynamique a été lancée : « L’aspect positif, c’est d’avoir sensibilisé » estime Claire Breuil. Un recensement de l’accessibilité des écoles a été effectué, des travaux d’amélioration seront réalisés progressivement. L’intégration scolaire est pratiquée, des enfants placés en établissement spécialisé ont classe dans des écoles ordinaires. Les collèges devraient bénéficier d’une meilleure accessibilité du fait d’un plan de rénovation lancé par le Conseil Général. Dans les lycées, le déplacement de la salle de classe est effectué en cas de besoin pour pallier l’inaccessibilité. La ville paie des auxiliaires de vie scolaire au- delà du quota attribué par le Rectorat afin de couvrir les besoins réels. L’association Le Fil d’Ariane fournit une version braille et sonore des informations municipales à l’attention des déficients visuels.
De multiples réalisations ont été entreprises: un petit jardin des senteurs a été aménagé (près de l’église Saint- Etienne) où un plan tactile situant les espèces végétales est projeté. La célèbre cathédrale est accessible en fauteuil roulant au moyen d’une longue rampe en pente douce… si la porte nord est ouverte en grand: son seuil proéminent constitue en effet un obstacle infranchissable. Cet aménagement démontable réalisé en bois a été conçu par l’association chrétienne qui gère la Cathédrale. Par ailleurs, un complexe aquatique de loisirs, avec piscine à vagues et bassin de 25 mètres, est à l’étude: toutes les activités à l’exception du plongeon devrait être pleinement accessibles. Il reste encore du travail. En centre- ville, si le théâtre est accessible, les places fauteuil roulant sont mal situées; lors de sa prochaine rénovation, une autre solution sera étudiée. Enfin, la salle de spectacles dispose d’emplacements de qualité de même que le complexe cinématographique.
Mitoyenne de la Cathédrale, la Galerie Nationale de la Tapisserie restera probablement inaccessible : si l’on peut éventuellement entrer de plain- pied par l’arrière, le bâtiment est truffé d’escaliers. Ce musée est administré par le Centre des Monuments Français qui ne semble pas projeter de mise en accessibilité avant plusieurs années.
Les personnes qui réalisent au fil des jours le Beauvais ville- pilote de l’accessibilité travaillent avec une forte volonté d’aboutir. « Avec une politique et peu de moyens, on peut y arriver », estime Claire Beuil. A se demander si ce n’était pas l’intention masquée du ministre Gilles de Robien…
Laurent Lejard, décembre 2003.