L’aide en faveur des personnes handicapées sera profondément réformée dans quelques mois. Elle sera régie par une nouvelle loi dite « d’égalisation des chances pour les personnes en situation de handicap » que nous appelons couramment « loi Boisseau ». Elle devrait théoriquement couvrir tous les besoins spécifiques. Pourtant, d’autres lois vont interférer : mise en oeuvre de la réforme des retraites, loi sur la formation professionnelle, réforme de la Sécurité Sociale prévue pour fin 2004, loi de Santé Publique, transposition en droit français de la Directive de l’Union Européenne sur la non- discrimination dans l’emploi. Dans tous ces domaines, la loi Boisseau devrait être muette. La décentralisation voulue par le gouvernement affectera l’aide aux personnes handicapées : les crédits d’Etat seront gérés par les Conseils Généraux qui conduiront « par délégation » les actions sociales vers cette population.
En l’état actuel de nos informations, les modalités de mise en oeuvre de la plupart des mesures envisagées sont renvoyées à des décrets ultérieurs. Il n’y a pas davantage d’objectifs et de date de réalisation clairement définis : par exemple, en matière d’accessibilité, aucun plan de rattrapage de l’existant dans un délai précis ne semble envisagé. Le seuil des 60 ans, qui fait sortir les personnes handicapées de leur cadre de prise en charge pour les transférer à celui des personnes âgées dépendantes, n’est pas évoqué dans les documents dont nous avons eu connaissance. Il en va de même pour les Tutelles (protection des personnes handicapées mentales) dont la réforme semble s’être perdue dans les méandres de la négociation. Vous trouverez ci- après les différentes rubriques de la loi Boisseau dont l’avant- projet devrait être présenté le 14 janvier 2004 au Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (C.N.C.P.H). Il sera ensuite examiné en Conseil des Ministres, probablement le mois suivant. Le projet de loi passera au Parlement durant le printemps pour un vote final espéré en juillet 2004 afin que le droit à compensation entre en vigueur dès 2005… sauf si les échéances politiques de la Secrétaire d’Etat aux personnes handicapées en décidaient autrement.
Accès à tout pour tous. Le projet de loi devrait comporter un renforcement des obligations actuelles en les étendant aux opérations de rénovation immobilière, à tous les handicaps (la réglementation en vigueur ne s’intéresse qu’aux handicapés physiques) et en dissociant les normes de celles de la sécurité incendie. Un plan de rattrapage des bâtiments existants n’est pas prévu et aucun objectif pluriannuel n’est défini. Une formation obligatoire à l’accessibilité serait introduite dès la rentrée 2004 dans le cursus des élèves architectes. Les professionnels et élus siégeant dans les Commissions d’Accessibilité pourraient être « professionnalisés ». En matière de logement, un contrôle serait assuré par des techniciens indépendants, des sanctions pénales pouvant être infligées aux contrevenants.
Les plans de déplacements urbains (P.D.U) comporteront obligatoirement un volet accessibilité, les associations pouvant être consultées à leur demande. Rappelons toutefois que le Ministère des transports a supprimé, dans le budget 2004, les crédits relatifs à ces P.D.U, ce qui en réduira la portée. L’accessibilité pourrait également pâtir de la suppression de 300 millions d’euros de crédits d’Etat en faveur des transports en commun, portant notamment sur les tramways et autres transports en site propre. Dans ce domaine sensible, la loi Boisseau semble s’orienter vers une simple « sensibilisation des grands transporteurs publics » à l’accessibilité. En matière de logement, les constructeurs pourraient se voir imposer la fourniture de plans mentionnant l’adaptation actuelle ou réalisable sur demande; la réglementation serait étendue aux maisons individuelles. Les commerces et lieux culturels ne font pas l’objet de dispositions précises. Rien ne semble prévu en matière de transport aérien ou maritime.
Education et intégration scolaire. S’il n’est pas institué d’obligation de scolarisation en établissements ordinaires, le terme « éducation spéciale » devrait toutefois disparaître : dans les établissements médico- sociaux, l’enseignement deviendrait la responsabilité unique de l’Education Nationale. Le « droit commun » serait privilégié, le choix fait par l’enfant ou l’adolescent de vivre ou non en établissement spécialisé devant être révisable à la demande des intéressés (parents, enfant, adolescent). La scolarisation dans l’établissement scolaire le plus proche du domicile serait favorisée mais pas obligatoire. Si cette conception doit prévaloir de la maternelle à l’université, il ne semble pas que des mesures soient prévues pour une mise en accessibilité contraignante des lieux d’enseignement. Il en est de même pour ce qui concerne l’adaptation de la pédagogie ou la création de supports spécifiques d’enseignement en direction des déficients sensoriels ou intellectuels. Une seule commission devrait gérer l’orientation et les aides en milieu scolaire, les actuelles C.C.P.E (primaire) et C.C.S.D (secondaire) étant supprimées.
Accès à l’emploi. Phénomène unique dans les annales de la négociation sociale, l’ensemble des grandes centrales syndicales, le Médef et le Gouvernement ont conclu un accord relatif à la formation professionnelle. Il fera l’objet d’une loi spécifique à la fin 2003 et des dispositions concernant les travailleurs handicapés devraient y être incluses. C’est dans une autre loi que devrait figurer le principe de non- discrimination dans l’emploi; cette loi résulte de la nécessité de transposer en droit français une Directive adoptée par l’Union Européenne le 27 novembre 2000. La nouvelle législation reprendra le concept « d’aménagements raisonnables » incluant par exemple le droit à des horaires adaptés. Le quota d’emploi de 6% serait maintenu, les entreprises pouvant déduire de leur contribution à l’Agefiph les dépenses qu’elles consacrent à l’amélioration de l’accueil ou à l’insertion des personnes handicapées. Les relations entre l’Etat et l’Agefiph feraient l’objet d’accords conventionnels prévoyant des engagements réciproques. La fonction publique serait encouragée à recruter des travailleurs handicapés par la voie contractuelle, les services étant aidés pour financer les éventuels aménagements de poste de travail.
Le statut des travailleurs en Centre d’Aide par le Travail, dont la tutelle serait déléguée aux Départements, devrait être amélioré notamment pour ce qui concerne leur mise à disposition dans des entreprises. Les Ateliers Protégés deviendraient des entreprises adaptées soumises au droit commun du travail, mais les ouvriers en C.A.T resteraient exclus de ce droit commun. L’évolution de leur Garantie de Ressources devrait toutefois leur faire percevoir une rémunération plus élevée, allocations comprises.
Santé et compensation. La loi Boisseau ne devrait pas traiter de la prise en charge sanitaire et de la prévention des handicaps; ces sujets seront intégrés dans la loi de santé publique préparée par le Ministre de la santé et des personnes handicapées, Jean- François Mattéi. Le droit à compensation semble comporter deux catégories: collective (accessibilité des lieux publics notamment) et individuelle. L’élaboration de cette dernière serait confiée à une Maison du Handicap qui assurerait à la fois l’information de la personne, l’évaluation de ses besoins, serait décisionnaire et ferait le suivi. Un Plan Personnalisé de Compensation du Handicap (P.P.C.H) serait ainsi élaboré. L’organisation pratique n’est pas encore arbitrée: Etat à travers un regroupement des actuelles Cotorep et C.D.E.S en un seul organisme ou transfert aux Départements.
Le système d’évaluation actuelle, basé sur un barème d’incapacité, serait remplacé par des préconisations dès lors qu’un handicap est reconnu : il pourra s’agir d’un placement en établissement, de la définition d’une capacité de travail, d’un besoin en aides techniques, humaines ou financières.
Nous ne disposons pas d’informations sur l’ampleur de la prise en charge, notamment en complément des financements provenant de la Sécurité Sociale, de l’Agefiph ou de l’aide sociale départementale. Si le principe de compensation individualisé est affirmé, cela ne veut pas dire que tous les matériels seront financés : seuls ceux qui figurent sur une liste spécifique (l’actuelle Liste des Produits et Prestations remboursés par la Sécurité Sociale complétée par d’autres matériels) seront pris en charge. Toutes les dépenses ne seront pas couvertes à l’euro près. Jean- François Mattéi semble exclure de laisser à la charge du bénéficiaire une part de son P.P.C.H, à la différence de ce qui est imposé aux personnes âgées qui perçoivent une Allocation Personnalisée d’Autonomie. Il est néanmoins envisagé de limiter la prise en charge du P.P.C.H à un tarif de responsabilité d’un principe similaire à celui des remboursements de Sécurité Sociale. Quelle que soit la solution retenue, il est fort probable que l’ensemble des dépenses définies dans le P.P.C.H ne seront pas prises en charge par l’Etat. Le Président de la République avait lui- même fixé le cadre, le 3 décembre 2002, alors qu’il recevait les membres du C.N.C.P.H, en précisant que les aides accordées devaient « évidemment tenir compte des capacités contributives des personnes ». Les Conseils Généraux seront certainement incités à apporter un financement complémentaire, au risque d’introduire des disparités de traitement en fonction de la « richesse » locale ou des priorités sociales définies par les élus départementaux.
Les personnes lourdement handicapées devraient pouvoir financer une douzaine d’heures d’auxiliaires de vie par jour ou 24 heures de tierce- personne. Un degré moindre de handicap ramènerait ce nombre à 6 par jour. Le bénéficiaire serait libre de choisir son statut (employeur, mandataire) ou ses tierces- personnes. Le financement des aides humaines serait indépendant des revenus du bénéficiaire ou de sa famille. Une harmonisation est envisagée entre les divers régimes allocataires y compris ceux de la Sécurité Sociale et des Mutuelles. L’actuel complément d’Allocation Adulte Handicapé (A.A.H) pourrait être versé sous la forme d’un capital destiné à aménager son logement, avec d’éventuelles exonérations fiscales. Une allocation de compensation financerait des aides exceptionnelles ou animales (coût d’un chien d’assistance par exemple). La gestion par les Départements des services d’auxiliaires de vie est envisagée.
Les revenus. Le système actuel d’allocations serait supprimé et remplacé par une prestation minimum ou « revenu d’existence ». Il serait destiné à couvrir les dépenses de la vie courante et pourrait être cumulé avec un salaire (dans des conditions plus favorables qu’actuellement), ou complété par une prestation complémentaire. Nous ne disposons pas d’informations plus précises autant pour ce qui concerne les modalités pratiques que le montant envisagé pour le revenu d’existence. De même, il n’est pas précisé si les revenus du foyer seront pris en compte dans le calcul de ces allocations. Marie- Thérèse Boisseau a toutefois affirmé à plusieurs reprises ces derniers mois qu’elle voulait instaurer un système allocataire plus compréhensible et juste, et qu’il n’y aurait « que des gagnants ».
Le financement. C’est le Premier Ministre, Jean- Pierre Raffarin, qui a levé un coin du voile recouvrant l’aspect le plus sensible de la réforme. Il a intégré le financement spécifique nécessaire aux dispositions de la loi Boisseau dans le plan en faveur des personnes dépendantes présenté le 6 novembre 2003. Ce plan instituera un fonds qui pourrait gérer deux milliards d’euros en année pleine, alimenté par une taxe sur les salaires et certains revenus financiers. Cette contribution serait compensée par la suppression d’un jour férié ou de réduction du temps de travail (R.T.T). Les crédits du budget de l’Etat seront évidemment réaffectés sur le nouveau dispositif sans qu’il soit possible actuellement de savoir s’ils seront transférés dans leur intégralité.
Laurent Lejard, novembre 2003.