Jacques Dejeandile est plus que paraplégique mais se débrouille seul : « j’ai une bonne autonomie ». Il vient d’entrer dans sa treizième année de télévision, fidèle à France 2 pour laquelle il conçoit et présente une chronique hebdomadaire sur le quotidien des personnes handicapées. « Ma chronique est maintenant fréquemment programmée le mardi [dans C’est au programme NDLR], elle se promène moins dans la grille de la semaine. Cela me permet de mieux travailler et de préparer les sujets plus sereinement ».
Ce qui l’amène à se déplacer fréquemment. « Prendre l’avion est devenu plus compliqué pour moi. J’habite à Nice et emprunte fréquemment la Navette d’Air France. Or, pour assurer la rotation rapide des avions, la compagnie n’accepte plus que deux passagers handicapés moteurs ayant besoin d’une assistance par vol. Il m’arrive souvent, alors que je paye un abonnement au tarif standard, que je sois contraint de prendre l’avion à un autre horaire que celui qui m’arrange parce que Nice et la Côte d’Azur compte beaucoup de personnes âgées qui demandent une assistance, souvent de confort ». Au détriment des personnes qui en ont vraiment besoin. « Ce double langage français m’énerve : on incite les personnes handicapées à travailler, mais côté services adaptés, il se fait peu de choses ».
Au-delà de ces tracas, Jacques Dejeandile s’estime être « un vrai nanti; j’ai de bons revenus, je fais un métier génial dans de bonnes conditions et j’en suis parfaitement conscient. Je n’ai pas besoin d’aide au quotidien et n’ai recours qu’à une femme de ménage quelques heures par semaine ». Tout ne lui est pourtant pas si facile: « durant une grave maladie qui m’a empêché de travailler pendant plusieurs mois, je me suis trouvé sans revenus. Je suis payé au cachet, comme la plupart des présentateurs de télévision, et aucune mutuelle ni assurance n’accepte de me couvrir du fait de mon handicap ». Le droit à compensation du handicap sera- t-il la solution? Jacques Dejeandile estime qu’il doit couvrir prioritairement les personnes démunies: « je ne crois pas qu’il soit possible d’instituer dans notre pays une compensation qui ne tienne pas compte des revenus de la personne; on ne peut pas diviser le gâteau en trop de parts et je préfèrerais que l’argent aille à ceux qui en ont vraiment besoin ».
Jacques Dejeandile travaille sur quelques projets, même s’il demeure prisonnier du regard des professionnels. « Quand on est une personne handicapée on réfléchit au handicap mais on a aussi d’autres sujets de réflexion. Ce que je voudrais maintenant, c’est que l’on dise que Jacques Dejeandile est un journaliste auquel on peut proposer un talk- show quotidien sur autre chose que sur le handicap. Pour l’instant, ce n’est pas rentré dans les moeurs. C’est vrai qu’on voit d’abord le fauteuil. Quand je discute avec les producteurs d’émissions, ils sont tout à fait chauds pour me confier autre chose, mais ils craignent d’être accusés d’utiliser le fauteuil roulant, ils redoutent l’image que ça pourrait donner ». Alors c’est encore en direction des personnes handicapées qu’il travaille, espérant lancer prochainement un programme court d’apprentissage quotidien de la Langue des Signes Française « destiné à tous ceux qui côtoient des sourds sans pouvoir les comprendre et qui voudraient pouvoir engager le dialogue ».
L’Année européenne des personnes handicapées occupera évidemment les chroniques télé de Jacques Dejeandile: « j’aimerais bien que 2003 soit l’occasion de parler du handicap et de confronter les expériences. Mais c’est un sujet politique, propice aux cadeaux électoraux. Le nouveau gouvernement en parle dès sa mise en place, c’est une bonne chose, il faut voir ce qui en sortira ». Parce que Jacques Dejeandile veut avant tout mettre en avant les potentialités, « montrer qu’il y a des choses qui se font, des gens qui se battent et faire passer le message de la combativité auprès des handicapés comme des valides : vous pouvez, si vous le voulez trouver du travail, faire des études; ce n’est pas facile, mais il y a des gens qui l’ont fait et pourquoi pas vous ? »
Laurent Lejard, janvier 2003.