Jean-Pierre a 26 ans. Son ostéogenèse imparfaite ne lui a pas permis de dépasser la taille d’1,30m. Il est cependant parfaitement autonome, indépendant, et travaille dans le service comptabilité d’une grande administration française depuis des années. Sa vie était bien réglée. Mais les questions ont commencé à germer depuis un séjour de vacances en 1996…
Frédérique a 28 ans. Elle cache très bien les quelques séquelles de sa légère infirmité d’origine cérébrale : une petite gêne à l’élocution d’où une articulation appuyée et des difficultés à réaliser des gestes fins. Elle est également autonome et indépendante. Sa vie était toute tracée : elle allait devenir la femme célibataire de la famille, s’occuper des neveux et nièces et continuer à s’émerveiller d’un rien, à rire à gorge déployée comme elle fait si bien… Mais sa rencontre avec Jean- Pierre a modifié ses plans et depuis, les regards de réprobation ont commencé à poindre et les remarques à fuser : « tu prends des précautions au moins ? ». Sa soeur cadette se trouve bien désemparée depuis qu’elle n’a plus personne à protéger ! Jean- Pierre et Frédérique partagent leurs vies depuis presque cinq ans. Ils dégagent une belle harmonie. Leur appartement parisien est petit mais coquet. Ils y accueillent volontiers les amis et voisins. Et depuis plusieurs mois, forcément, naturellement, ils commencent à songer… ils se demandent timidement s’ils pourraient aussi accueillir leurs enfants. La question, jusque là évacuée, arrive en force.
Frédérique est la quatrième d’une belle fratrie de cinq enfants. Elle a toujours été choyée, entourée par sa famille. L’idée d’une famille à construire la séduit. Elle sait bien que ses difficultés motrices ne sont pas un obstacle au nursing: elle l’a vérifié avec ses neveux. Mais serait- elle capable de supporter une grossesse? Que diraient ses parents? Quant à Jean- Pierre, fils unique de parents désunis, ses liens familiaux n’ont jamais été très forts. Il a passé toute son enfance en milieu protégé. Il n’en garde pas de bons souvenirs, il en parle difficilement. Une chose est certaine: il ne veut surtout pas risquer de donner la vie à un enfant auquel il transmettrait son anomalie génétique. Alors ils pensent à l’adoption.
La jeune femme se demande si la démarche n’est pas trop douloureuse : tous ces papiers, tous ces entretiens pour éventuellement s’entendre dire que ce n’est pas un projet raisonnable. Et quid de son désir d’enfant ? Il n’est pas si puissant aujourd’hui mais l’adoption d’un petit pourrait l’éveiller et ce ne serait pas une bonne idée, puisque Jean- Pierre ne le souhaite pas ainsi. Lui, il pense qu’il pourrait être un bon père, il se sent mûr pour assumer son rôle mais il a peur que son enfant souffre d’avoir un papa si petit. Il sait combien la conjoncture n’est pas à l’ouverture des mentalités. Pourtant, il est bien tenté par l’idée de construire une famille. Cette famille qu’il n’a pas eue.
Ne voulant pas subir les pressions de leurs proches, ils sont allées discuter avec une assistante sociale à la Protection maternelle et infantile de leur arrondissement. Elle a été attentive à leurs soucis. Et, à leur surprise, elle n’a pas été négative ! « Au contraire, explique Frédérique, elle dit même qu’il faut avancer avec ces questions, qu’elles sont un excellent ferment ». Elle a également remarqué que leur questionnement est assez récent puisque l’idée d’être parents ne les avait jamais effleurés auparavant : ni l’un ni l’autre n’avait jamais osé imaginer devenir parent et personne ne les y avaient jamais invités. La vie de couple les a bousculés et placés devant des choix d’autant plus conscients qu’il y a handicap. Alors Frédérique et Jean- Pierre vont poursuivre leur chemin dans cette direction. Partis pour une aventure d’un mois de vacances, les voilà embarqués pour l’aventure d’une vie…
Véronique Gaudeul, octobre 2001.