33 monocoques de 60 pieds classe Imoca sont partis le 8 novembre dernier du port des Sables d’Olonne pour le Vendée Globe, une course autour du monde en solitaire et sans escale. Parmi eux, Damien Seguin, 41 ans, né sans main gauche, sur « Groupe Apicil. » Champion paralympique (lire l’actualité du 24 septembre 2004) et du monde (lire l’actualité du 4 septembre 2005) sur petit monocoque, il a évolué vers la course au large en participant aux transatlantiques Route du Rhum en solitaire (10e en 2010, 8e en 2014, 6e en 2018), Jacques-Vabre avec Yoann Richomme (2e place en 2011 – lire l’actualité du 24 novembre 2011, 14e en 2019). Il a également remporté le 29 juillet 2007, avec Damien Iehl, François Morvan, Benjamin Amiot et Mathieu Bourdais, le Tour de France à la Voile, triomphant de tous les autres skippers valides.
Question : Où êtes-vous ce 17 novembre ?
Damien Seguin : Juste au-dessus de l’équateur, je vais le franchir dans à peu près trois jours. Là, je suis à la convergence de la zone intertropicale. Il fait très chaud, rien qu’à l’intérieur du bateau il fait 35 degrés !
Question : Dans quelles conditions de mer ?
Damien Seguin : Les conditions sont excellentes, il y a une quinzaine de noeuds de vent [28 km/h], la mer n’est pas trop levée, le bateau va aussi vite que le vent. Il fait chaud, sans nuage, des conditions vraiment excellentes.
Question : Et votre état d’esprit, après toutes les incertitudes sur le départ de la course ?
Damien Seguin : Il est bon. C’est vrai qu’on a vécu une première semaine de course délicate, intense, marquée par des coups de vent, des choix stratégiques importants à effectuer. Depuis trois jours, le rythme est un peu plus cool, même si on relâche pas la pression, il est nettement plus agréable de naviguer.
Question : Vous êtes parti pour combien de mois de navigation ininterrompue ?
Damien Seguin : Pour presque trois mois, je table sur 85 à 90 jours. C’est ce qu’il faut pour faire le tour de la planète et c’est vrai que ça fait long. Je n’ai jamais navigué plus de 20 jours en solitaire sur ce bateau, ça va être une vraie découverte, ce temps passé sur l’eau c’est quelque chose de spécial.
Question : Ce qui est spécial aussi c’est votre participation à une course autour du monde en solitaire, a-t-il été facile de vous inscrire dans ce Vendée Globe ?
Damien Seguin : L’inscription à une course comme celle-là revêt plusieurs caractères de sélection. Il faut avoir participé à suffisamment de courses en amont avec son propre bateau pour faire les qualifications sportives. Et il faut ensuite remplir des critères administratifs et médicaux bien spécifiques. Cela fait plus de trois ans que je me prépare pour cet objectif là, une préparation minutieuse jusqu’au dernier moment pour partir dans de bonnes conditions.
Question : Avec les incertitudes de la crise sanitaire, vous avez craint que la course n’ait pas lieu ?
Damien Seguin : La question a été longuement discutée, effectivement. Au mois de mai pendant le premier confinement, on se demandait si le Vendée Globe allait avoir lieu cette année et l’organisateur nous a répondu qu’il maintenait l’événement. C’était un « ouf » de soulagement pour tout le monde, et par dessus ça est arrivée la deuxième vague, puis le deuxième confinement, et on est partis juste à ce moment. On s’est posé beaucoup de questions, mais on a beaucoup de chance d’avoir cet événement international conservé cette année quand on voit le nombre des événements reportés ou annulés.
Question : Vous voilà dans la cour des très grands. Tous les skippers vous ont accepté ou certains vous regardent encore comme un être un peu inférieur ?
Damien Seguin : On se connaît tous depuis pas mal d’années. Je pense qu’au fil du temps j’ai réussi à faire mes preuves, il n’y a aucun des 32 autres skippers au départ du Vendée Globe qui me voyaient comme un skipper avec un handicap, mais plutôt comme un compétiteur. J’ai gagné ma place avec l’expérience, avec les courses auxquelles j’ai participé, et c’est une belle victoire.
Question : Les prochaines étapes que vous redoutez, c’est le passage du Cap de Bonne Espérance, ou il y a d’autres moments plus difficiles dans l’Atlantique Sud ?
Damien Seguin : Effectivement, le prochain cap que l’on va passer c’est Bonne Espérance, ça va marquer notre entrée dans l’océan Indien qui va être une vraie découverte pour moi, avec un gros système météorologique à appréhender, une température qui va fortement baisser. J’ai hâte de me retrouver dans ces mers-là pour les découvrir. En même temps, c’est une appréhension, je sais que l’océan Indien n’est pas facile. Si je peux réussir ce tour du monde, ça passera forcément par des moments plus compliqués.
Question : C’est la première fois que vous passez ce cap ?
Damien Seguin : Oui, c’est la première fois que je vais passer le cap de Bonne Espérance. Le parcours du Vendée Globe est jalonné de caps mythiques, le cap Leeuwin, le cap Horn à la pointe de l’Amérique du Sud, c’est magique. Je vais prendre le sillage de ces grands marins qui ont passé ces caps avant moi, c’est une belle excitation !
Propos recueillis par Laurent Lejard, novembre 2020.
Damien Seguin a été le 12e à franchir l’équateur, jeudi 19 novembre à 13 heures 56, près de 24 heures après le leader de la course. Suivez le parcours du bateau Groupe Apicil sur cette carte actualisée en temps réel.
Le journaliste Eric Cintas a publié en septembre la biographie Damien Seguin le défi d’une vie, chez Glénat, 19,95€ en librairie.