Isabelle Janier est probablement la seule comédienne professionnelle handicapée motrice à se déplacer en fauteuil roulant, du fait des séquelles d’une sclérose en plaques. Une artiste aux multiples talents : « Je viens de la peinture, du théâtre », précise-t-elle. Formée à l’école des Beaux-Arts de Paris et au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, elle a également mis en scène de nombreuses pièces de théâtre. « Un petit accident de parcours a fait que je suis devenue handicapée. Même handicapée, j’ai rebondi parce que j’ai écrit un spectacle qui racontait ma maladie, mes épreuves de toutes sortes, encourues depuis l’enfance, autant amoureuses, tout ce que l’on rencontre. La survenue de la sclérose en plaques a tout changé, même si j’ai continué ce que je faisais. Mais ça m’a changé dans la mesure où ça m’a orienté, que j’ai écrit un texte, Grain de sable, en 2005, édité chez L’Amandier. Je me suis servie de ce que j’étais depuis toujours, en mettant en scène, en écrivant un texte que je jouais avec la sclérose en plaques. J’ai trouvé une façon de faire, en jouant avec un garçon qui me portait, c’était en quatre tableaux pendant une heure et demie. Dans chacun, j’étais dans une situation différente, et entre les tableaux il me portait et me faisait danser. On ne voyait pas que j’étais handicapée, et c’était vachement bien parce que ce n’était pas du tout ça qui était mis en avant. Après j’ai eu une commande de Novartis pour écrire un texte après des interviewes de patients, cela a pris quelques mois. J’ai écrit un spectacle où je mêlais ma propre expérience, que j’ai monté avec trois comédiens, et qui se joue en France depuis sept ans, SEP en scène. »
Depuis l’apparition de la maladie et de ses séquelles invalidantes, on ne lui a plus proposé de rôles, elle n’a joué que dans ses propres spectacles. Une forme de double ignorance des capacités ou volontés, aucun metteur en scène n’a adapté un personnage dans une pièce ou un film, mais elle-même ne leur a pas proposé : « Il faut que je le fasse. Je sais que j’ai des amis metteurs en scène qui n’attendent que ça, que je leur dise que j’ai envie de jouer. » Mais elle n’a pas déclenché cette envie : « Il n’y avait pas de rôles adaptés. J’ai fait travailler des jeunes comédiens, et dans les conservatoires. De temps en temps, jouer me manque, mais je fais tellement de choses et en fait je joue tout le temps ! J’ai un état d’être de la comédie, être comédienne c’est avant tout un état d’être. Quand j’ai écrit Grain de sable en 2005, il fallait que je lui donne une suite, les gens l’attendaient. Il faut que je l’écrive pour moi, parce que les gens attendent ça. C’est pour cela que je n’ai pas sollicité mon agent artistique pour avoir des rôles. »
L’entrée dans la sclérose en plaques a en fait donné une autre orientation à l’activité créatrice d’Isabelle Janier : « On ne me propose plus de rôles, c’est à moi d’aller les chercher. C’est ce que j’ai toujours rêvé de faire, en fait. » Être maitre de son propre travail, et paradoxalement la SEP a accéléré ce processus. « C’est plus intéressant maintenant, de toute façon j’allais vers ça. Ça a accéléré les choses, et m’a mis devant moi-même, je n’avais plus de détours. » Pourtant, la maladie n’a pas changé son rapport à la mise en scène : « Je n’ai pas changé, mes préoccupations sont toujours les mêmes. » Et avec toute son expérience d’actrice et comédienne : « Passer par les conservatoires, c’était bien. J’aimais beaucoup jouer la comédie, et c’était une façon de rencontrer des gens magnifiques. J’ai eu comme professeur Antoine Vitez, Claude Régy, des rencontres qui vous font monter d’un cran, ils vous révèlent. C’est l’art d’arriver au plus près de soi-même, de faire de soi-même un art, parce que je crois que la comédie c’est aller au plus profond de soi-même pour tellement bien le connaître, pour pouvoir en jouer. C’est un peu comme l’enfance, où on est dans le jeu tout le temps, et on est tellement dans la vérité, c’est un peu le paradoxe entre la vérité et le jeu qu’on retrouve après. »
Actuellement, Isabelle Janier reprend une oeuvre qu’elle avait déjà jouée en 1990, Catherine de Heilbronn, de Heinrich Von Kleist. Titrée « La promesse », la pièce a été réécrite et adaptée pour six comédiens et sera présentée à la Maison des Métallos (Paris 11e) du 11 au 13 octobre 2018 sous forme de maquette théâtrale, puis au Théâtre 13 (Paris 13e) le 7 décembre en « sortie de résidence ». Une exposition de tableaux peints sur ce thème par Isabelle viendra compléter ce travail théâtral encore en phase de création. « Catherine de Heilbronn est une pièce qui parle de l’amour, qui le met en scène. Qui dit que l’amour est imparable contre toute l’adversité, c’est l’amour qui gagne sur tout. L’amour est l’arme la plus fatale contre tout. » Même contre la maladie.
Laurent Lejard, septembre 2018.