Handicapée intellectuelle et conseillère municipale
Éléonore Laloux est probablement la seule conseillère municipale vivant avec une trisomie 21. Elle a été élue à Arras (Pas-de-Calais) en mars et siège depuis juin. « La première réunion du Conseil Municipal s’est très bien passée. J’étais contente, et quand Frédéric Leturque [le maire] m’a souhaité la bienvenue, ça m’a fait une grande impression. » Pour effectuer son mandat, elle dispose de deux aides humaines : la conseillère municipale déléguée au handicap, Sylvie Noclerq, et un agent territorial, Ludovic Galland : « J’ai des moyens techniques, Sylvie qui m’accompagne avec amour, un conseiller technique qui m’aide à monter les projets. On a fait un séminaire de rentrée, un cleanup day, une balade urbaine. » Ces actions de mobilisation et d’encouragement pour la propreté urbaine font partie de sa mission d’appui au conseiller municipal délégué, précise Sylvie Noclerq, et quand Éléonore Laloux se promène, elle est très sensible à la propreté : « Je vois les déjections des chiens, des masques par terre, les fumeurs qui jettent leurs mégots, ça m’insupporte ! » C’est avec l’appui de Sylvie Noclerq qu’elle a présenté sa feuille de route à tous les élus, lors d’un conseil en visioconférence : transition inclusive et bonheur. « Je suis sa marraine de coeur, explique-t-elle. On se connaît depuis 2011, lorsque j’ai participé à l’installation de personnes porteuses de trisomie dans les appartements intergénérationnels de l’îlot Bon Secours. » Ce programme d’habitat social de 69 logements qu’on qualifierait aujourd’hui d’inclusif fêtera ses dix ans l’an prochain : une douzaine de résidents trisomiques y occupe chacun leur propre appartement en bénéficiant d’un encadrement pour mener une vie autonome. Par exemple, si Éléonore travaille et conduit sa vie comme elle l’entend, il est nécessaire pour sa sécurité de la raccompagner en soirée, notamment après les réunions.
Le volet compréhension administrative est assuré par Ludovic Galland, qui oeuvre au Pôle culturel Saint-Vaast : « J’ai beaucoup travaillé sur la réussite scolaire et l’illettrisme, la ville m’a demandé si je pouvais préparer les séances de travail d’Éléonore Laloux sur la transition inclusive, un projet de mandat très important. Je suis le technicien en charge de cette transition inclusive, on avance au fil des missions, des rencontres. J’ai un rôle de facilitateur pour qu’elle comprenne la ligne que les élus veulent conduire. Il est intéressant de travailler avec Éléonore sur la transition inclusive, elle conduit les agents à réfléchir différemment. Mon intervention vise à simplifier les choses, pourquoi ne pas se saisir de ce travail pour que l’ensemble des citoyens puisse avoir accès à l’info ? La déontologie est une question qui se pose, avec notre triumvirat qui apprend en marchant. » La ville d’Arras est pionnière dans ce domaine, l’entrée en politique d’une citoyenne handicapée intellectuelle est un sujet sensible. « Éléonore a apporté le bonheur », estime-t-il. Et Arras sera plus colorée. « J’essaie de mettre un peu plus de gaieté, ajoute-t-elle, que tous soient heureux, qu’ils donnent de la joie de vivre, mettent plus de couleur flashy, que ça pète ! » Ce que traduit ainsi Ludovic Galland : « Des codes couleur permettraient à chaque habitant de trouver le bon service, notamment ceux qui ont des difficultés à lire. On pourrait institutionnaliser la couleur, pour les lignes de bus, c’est une idée d’Éléonore. » Une idée très pratique, mise en place notamment à Montpellier (Hérault) dont chaque ligne de tramway dispose de rames de couleurs différentes ce qui s’avère très pratique. « Le fait qu’Éléonore soit conseillère municipale change le regard des élus sur les personnes handicapées, conclut Sylvie Noclerq. C’est l’histoire d’un escalier permettant de descendre une butte : nous, on réalise un petit chemin pour que tout le monde l’emprunte. C’est un ensemble de personnes qui doit penser pour que notre ville soit inclusive. »
La ruralité est une situation de handicap
Élu au conseil municipal de Cossé-le-Vivien, bourg de Mayenne comptant 3.200 habitants situé à une demi-heure de route au sud-ouest de Laval, Jean-Charles Houssemagne, 35 ans, est tétraplégique dépendant depuis un accident de plongeon en 2016. Côté matériel, pas de souci, la mairie est accessible bureau du maire compris grâce à un élévateur, et la municipalité a fait l’acquisition de tablettes Ipad pour que les élus reçoivent en numérique tous les documents municipaux. « J’utilise mon téléphone par la synthèse et la dictée vocale, pour rédiger les mails, préparer mes documents et travail. » C’est son besoin d’aide humaine qui n’est pas couvert : la municipalité ne peut mettre à sa disposition un assistant personnel, et de plus Jean-Charles Houssemagne se retrouve sans aide humaine en soirée, ce qui l’empêche de remplir pleinement son mandat de conseiller délégué à la communication et de référent santé : ses fonctions impliquent déplacements et réunions à toute heure. « Des collègues ou des agents me véhiculent. Et ma compagne vient me chercher après le conseil municipal pour me coucher. » Sa difficulté en vivant en territoire rural, c’est l’absence de service d’auxiliaires de vie travaillant en soirée : « Les aides à domicile viennent à 21 heures au plus tard. Les aides humaines nécessaires au titre de mon mandat municipal sont remboursées sur facture par la ville, or aucun service n’existe. Si j’étais célibataire, je ne pourrais pas être conseiller municipal. » Son quotidien, c’est coucher à 21h30 tous les soirs, sauf lorsque sa compagne peut prendre le relais, mais qu’il ne veut solliciter qu’en cas d’absolue nécessité. En journée, c’est une aide à domicile qui le conduit et vient le ramener au domicile, ou parfois ses parents. « Tout le temps, je dois prévoir de m’organiser, pour les déplacements et le planning des aides à domicile. Il faut toujours anticiper. » Depuis son élection, il s’est retrouvé à faire le choix d’une seule réunion de travail en soirée, parce que sa compagne ne peut assurer plus d’un coucher par semaine.
Des conseillers sans souci
Aucune difficulté en revanche pour Émilie Gral, conseillère départementale de l’Aveyron : « De mon côté et concernant mon handicap [malformation de l’avant-bras gauche NDLR], je ne rencontre aucune difficulté. En effet, il ne m’empêche en rien de mener à bien mes missions d’élue au quotidien. » Réponse identique de Pascal Margerin, maire de Blancafort (Cher) qui fut désignée en 1998 centre géographique de la première zone Euro, amputé tibial : « Mon bureau est de plain-pied, comme la mairie. Je ne rencontre jamais de souci, même dans les déplacements. J’utilise ma voiture personnelle à boite automatique, sans besoin particulier. » Conseiller régional d’Île-de-France et municipal de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), Pierre Deniziot précise ne pas avoir vraiment d’aide particulière. « Certes, j’ai toujours eu la possibilité d’avoir un chauffeur. J’ai d’ailleurs toujours eu priorité sur mes collègues pour avoir ce chauffeur notamment quand le pool est réduit (vacances ou arrêt maladie des chauffeurs). Cela me permet de marcher un minimum, de ne pas porter mes affaires, de ne jamais attendre, ce qui est moins possible avec un taxi. Les chauffeurs sont hyper-attentifs à me faciliter la vie. Ils sont clés dans mon organisation. La Région m’a évidemment fabriqué un marchepied pour mes prises de paroles au Conseil Régional. » Son assistante veille à organiser prises de paroles et déplacements en demandant aux organisateurs d’événements de s’adapter : mur bas pour la pose d’une première pierre, estrade accessible, marchepied pour le discours, etc. « Le principe étant que je dois prendre la parole de la même façon que les autres : tous au pupitre, ou tous assis, ou tous avec un micro à la main, etc. » Une compensation en forme d’égalité.
Laurent Lejard, décembre 2020.