Plus de deux mois après son entrée en vigueur, on avait constaté qu’une disposition de la loi d’orientation des mobilités (LOM) était largement ignorée : les titulaires d’une carte d’invalidité ont depuis le 25 décembre 2019 un accès sans autre condition à tous les services de transports adaptés créés par des communes, communautés d’agglomérations, départements ou régions qui sont légalement des autorités organisatrices de mobilité. « Lorsqu’il existe un service de transport adapté aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, l’accès à ce service pour les personnes disposant d’une carte ‘mobilité inclusion’ […] ne peut être restreint ni par une obligation de résidence sur le ressort territorial, ni par l’obligation d’un passage devant une commission médicale locale », stipule la nouvelle loi dans son article 19 qui est d’application immédiate. S’il était compréhensible qu’un peu de temps soit nécessaire pour mettre en oeuvre cette mesure dans l’ensemble des services de transports spécialisés, la situation semble avoir peu évolué depuis notre article de mars 2020, si l’on s’en tient aux informations publiées par les différents opérateurs.
En Île-de-France
Régis par l’autorité organisatrice Île-de-France Mobilités, les transports spécialisés de cette région exercent quasiment tous en infraction à la loi si l’on en croit les informations qu’ils publient en ligne et sont celles que les visiteurs consultent. Par ailleurs, leur règlement persiste à déséquilibrer la relation commerciale : les opérateurs privés, tous filiales de sociétés et groupes publics, sanctionnent les clients au moindre manquement mais ne prévoient pas d’indemnisation quand elles sont défaillantes. PAM 75 exploité par Keolis en est l’exemple ; ce service public s’affiche « réservé aux Parisiennes et Parisiens à mobilité réduite ». Les touristes et résidents temporaires en seraient donc exclus ? « Dans nos filiales franciliennes (Pam 75 et Pam 94), explique le porte-parole de Keolis, nous inscrivons et transportons d’ores et déjà des personnes résidant hors du périmètre de transport urbain. » Les clients potentiels doivent être devins pour le savoir ! A noter que le dossier d’inscription, mis à jour le 31 décembre dernier et sans clause de résidence, comporte pas moins de 15 pages…
Son équivalent pour les Yvelines et Hauts-de-Seine, PAM 78-92 exploité par Transdev, est toujours régi par le règlement d’avril 2019 imposant l’obligation de résidence ; là encore, le client est puni s’il est absent lors de sa prise en charge (25€ d’amende) mais n’est pas indemnisé en cas de manquement du service PAM, et « l’accompagnateur gratuit » est évidemment obligatoire. En Seine-et-Marne, PAM 77 exploité par Flexcité filiale RATP ne mentionne plus la condition de résidence dans le département mais elle figure toujours sur le dossier d’inscription qui date de janvier 2019. « Concernant le réseau PAM en IDF, précise le service communication de la RATP, tout usager en possession d’une carte d’invalidité peut s’inscrire pour un accès à tous les services de transports adaptés, peu importe sa domiciliation. » Mais le client se fie aux pages web qu’il lit et au dossier d’inscription à remplir, éléments d’information qui se contredisent dans les réseaux exploités par la RATP : elle gère PAM 91 (Essonne) et PAM 95 (Val d’Oise) qui mentionnent les mêmes conditions illégales, et exploite également PAM 93 (Seine-Saint-Denis) mais en respectant la loi : le règlement départemental du 5 mai 2020 ne comporte plus l’obligation de résider dans le département. Même situation dans le Val de Marne pour PAM 94 exploité par Keolis, le dossier d’inscription modifié le 9 décembre 2020 ne contient plus l’obligation de résider dans le département. Il reste à l’opérateur à modifier la page de son site web « conditions d’accès » qui la mentionne toujours. « Au sein des agglomérations francilienne ou lyonnaise, justifie Keolis, le dialogue entre les filiales du Groupe et les autorités organisatrices est engagé depuis plus d’un an, afin de cadrer et d’identifier les conséquences de la mise en application de la loi sur le service et les procédures d’inscription, et d’adapter les nouvelles procédures et les outils et de mettre à jour les informations clients. » Keolis a visiblement encore du travail…
Le faux-semblant lyonnais
Nous avions pointé, dans l’article de mars 2020 mentionné ci-avant, que le syndicat des transports de la métropole de Lyon (SYTRAL) inscrivait dans son règlement que son service Optibus, exploité par Keolis, était ouvert à tous les titulaires de carte d’invalidité, mais que sa page web le réservait aux seuls résidents. 10 mois plus tard, rien n’a changé, bien que le SYTRAL et Optibus aient eu connaissance de ce décalage entre l’information immédiatement accessible et ce qui est inscrit dans les profondeurs d’un règlement écrit le 1er mars 2017 en termes juridiques que peu d’utilisateurs lisent ou comprennent. « Une nouvelle version du règlement d’exploitation est en cours de validation par le Sytral, précise le porte-parole du groupe Keolis. Notre filiale Optibus accepte d’ores et déjà les clients venant d’autres territoires avant la loi LOM sous forme d’autorisation dérogatoire. » Dérogation qui se limite aux trajets entre gare ou aéroport jusqu’à un seul lieu de destination et retour, ce qui n’est pas conforme à la loi.
Rennes régresse
Le service Handistar de la capitale bretonne, exploité par Keolis, « est accessible de plein droit aux personnes se déplaçant en fauteuil roulant, aux personnes non voyantes (titulaires de la carte mobilité inclusion délivrée par une MDPH et comportant la mention besoin d’accompagnement cécité) ». D’autres personnes handicapées peuvent être admises « sous réserve de la décision de Rennes Métropole prise après avis de la commission d’accès » lit-on dans le règlement d’exploitation daté du 22 décembre 2020 qui ajoute une validation « à l’occasion d’une journée d’inscription dans les locaux définis par HANDISTAR, et peut être assorti de conditions (accompagnement obligatoire, trajet-relais, référent, accès temporaire, type de matériel adapté…). Les personnes disposant de la carte mobilité inclusion mention ‘Invalidité’ seront dispensées du dossier médical et de la rencontre avec le médecin. » Ça, c’est pour les Rennais, particulièrement soignés. Et si les titulaires de carte d’invalidité n’habitant sur le territoire de Rennes Métropole sont admis, c’est avec l’obligation d’assister à une journée d’inscription s’ils atteignent la dizaine de voyages dans le mois, « pour des raisons de sécurité » : ce motif est fréquemment opposé pour empêcher des usagers handicapés d’accéder à un service ou un bâtiment. L’accès de plein droit de tous les titulaires de carte d’invalidité est respecté, mais à condition de fouiller dans un règlement d’exploitation qui compte une cinquantaine de pages !
Nice ignore la loi
La Métropole de Nice Côte d’Azur n’a pas modifié ses conditions d’accès depuis notre enquête de mars dernier. «Les règles d’admissions sont fixées par notre Autorité Organisatrice à savoir la Métropole Nice Côte d’Azur (MNCA), justifiait alors Serge Luciano, responsable Mobil’Azur. Elle nous a indiqué que les conditions d’application de l’article 19 [de la LOM] n’ont pas été précisées par le législateur.» Visiblement, elle cherche toujours des conditions pourtant claire : accès de plein-droit sans examen par une commission. Or, « l’inscription au service est effective après participation à une journée d’inscription et avis favorable de la Commission d’Inscription » qui compte un médecin, clause illégale depuis un an.
Confusion marseillaise
Le service Mobimétropole qui couvre 60% des Bouches-du-Rhône et 92 de ses 119 communes devait s’ouvrir rapidement aux non-résidents, selon les propos, en mars dernier, du porte-parole d’Aix-Marseille Métropole : « La Métropole s’est récemment engagée à communiquer auprès de ses délégataires en charge d’assurer un service de transport spécifique, et leur a demandé de mettre en application sans délai cette évolution réglementaire en attendant de pouvoir mettre en cohérence l’information délivrée aux usagers avec une pratique déjà effective. » Mais c’est seulement le 23 décembre 2020 que l’information du public et le dossier d’inscription téléchargeable ont été modifiés en conséquence. Les usagers doivent toutefois soumettre leur dossier à une « commission d’accès », condition en contradiction avec l’accès de plein-droit des titulaires de carte d’invalidité. « Si un examen du dossier par une commission d’accès reste nécessaire pour vérifier la complétude du dossier et finaliser l’inscription au service, l’accès au service de transport adapté n’est plus conditionné au passage devant une commission médicale locale pour les titulaires d’une Carte Mobilité Inclusion », précise la Métropole qui ajoute « travailler sur la création d’un guichet unique, mesure qui va dans le sens d’une simplification de l’accès aux différents services de transport. »
Le Libournais comme le Marseillais ?
A notre enquête de l’année dernière la Communauté d’agglomération du Libournais (regroupement de collectivités locales de Gironde et de Dordogne) avait répondu qu’elle allait se conformer « au plus tôt, aux évolutions introduites par la LOM [en permettant] dès à présent l’utilisation de ce service par tous les usagers en situation de handicap, qu’ils habitent ou non sur le territoire de notre intercommunalité. Aussi, nous procédons à la mise à jour de notre site Internet pour y supprimer toute référence à la domiciliation. » Ce qui est fait. Sauf que le règlement d’exploitation annexé au dossier d’inscription contient toujours la clause de résidence : « Ce service s’adresse aux personnes résidant sur le territoire de La Cali, nécessitant une aide au déplacement […] D’autres situations peuvent également être prises en compte, après évaluation par la commission d’attribution. » Normal, ce règlement date du 1er septembre 2019, juste avant le vote de la LOM. Mais en nous annonçant qu’il serait modifié après les élections municipales du printemps dernier, la communauté d’agglomération s’est bien avancée…
Autres réseaux
Exploité par une filiale de la RATP, le service de Lorient (Morbihan) est réservé aux seuls habitants, après obtention d’une carte spécifique à demander au président de la communauté d’agglomération. Il faut fournir à l’appui une « attestation de résidence de domicile sur le territoire de Lorient Agglomération ». Là encore, la RATP affirme que « toute personne n’habitant pas Lorient Agglomération peut bénéficier du service PMR ; elle doit simplement au préalable demander sa carte d’accès au service [et] bénéficie ensuite du service PMR toute l’année dans la limite de 30 jours de déplacement par an. Dans la pratique, cette limite peut être étendue si la personne le demande et en justifie la nécessité. » Il reste aux clients potentiels à le deviner puisque les informations publiées font comprendre le contraire !
A Bourges (Cher), la loi est presque respectée pour utiliser LibertiBus : il est en effet réservé aux seules personnes en fauteuil roulant ou aveugles, alors que tous les titulaires d’une carte d’invalidité devraient y avoir droit. Son règlement d’exploitation contient une autre clause illégale : l’obligation de museler un chien guide ou d’assistance, alors que ces animaux sont dispensés de muselière depuis près de 34 ans et que par conséquent leurs propriétaires n’en possèdent pas !
Filiale de la Caisse des Dépôts (la banque de l’État), Transdev exploite plusieurs services qui n’opposent pas de clause de résidence : Grenoble (Isère), Valence (Drôme). En revanche, à Saint-Étienne (Loire) la condition de résidence est obligatoire comme le stipule le dossier d’inscription. Et si à Dunkerque (Nord) les visiteurs et résidents temporaires sont admis, c’est pour un mois renouvelable une fois, ensuite le passage en commission est obligatoire; par exemple, un stagiaire en formation longue doit subir cette formalité. Avec une moitié en conformité (ou presque) avec la loi, ces exploitants de transports adaptés de service public ont encore bien des efforts à faire pour respecter la loi… et leurs clients potentiels.
Laurent Lejard, janvier 2021.