Jean-Philippe Murat, entrepreneur devenu tétraplégique en 2006 du fait d’un accident, poursuit ses activités de gestion d’entreprise. Mais depuis qu’il a rejoint la « communauté » des travailleurs handicapés, il a mesuré leurs difficultés à accéder à l’emploi ou créer une entreprise dans un contexte économique plutôt difficile : 515.000 travailleurs handicapés sont en recherche d’emploi. Même si le respect de l’obligation légale d’emploi imposée depuis 1987 aux entreprises privées, associations, administrations et entreprises publiques comptant plus de 20 salariés a progressé au fil du temps, il reste encore une importante marge de manoeuvre pour que toutes soient volontaires. « Une entreprise handi-accueillante engage une démarche sur la différence, quelle qu’elle soit, explique Jean-Philippe Murat. Je considère que la différence est une chance, et beaucoup d’entreprises commencent à le comprendre, notamment les grands groupes qui ont mis en place une politique de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE). Et plus particulièrement l’accueil des personnes handicapées. Cela veut dire une sensibilisation en amont des personnels, pour lutter contre les préjugés, les informer des différentes formes de handicaps, et générer par le management les conditions d’accueil des personnes handicapées dans les métiers de l’entreprise. En les embauchant pour leurs compétences, pas pour boucher un trou en faisant du social. C’est une chaine de valeurs que les entreprises comprennent ou pas. »
C’est pour apporter sa contribution à ce chantier vertueux que Jean-Philippe Murat a lancé le mouvement Handipreneurs, qui finalise son organisation et sa structure alors que l’obligation d’emploi vient d’être réformée pour privilégier l’emploi direct. A partir de 2020, la sous-traitance confiée aux Etablissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT) et aux Entreprises Adaptées ne sera plus convertie en équivalent salariés (« unités bénéficiaires » en langage administratif) mais viendra minorer la contribution versée aux fonds pour l’insertion professionnelle. Jean-Philippe Murat est d’ailleurs partisan d’aller plus loin pour améliorer l’emploi effectif de travailleurs handicapés : « La première des choses à faire est de supprimer la déduction de la contribution pour l’emploi en recourant à la sous-traitance des ESAT et Entreprises Adaptées, qui est une manière déguisée et plutôt facile de se débarrasser du problème du handicap. Il faut aller vers un taux d’emploi direct de 6%. »
Pour y parvenir, il prône un accompagnement assuré par des professionnels en fonction des spécificités des différents handicaps, ainsi que des aides pour faciliter cette intégration : « Il y a des handicaps plus ou moins lourds à gérer et intégrer en entreprise. Il serait intéressant qu’existent dans chaque département des référents handicaps et que les entreprises aient une sorte d’obligation, même légère, d’accueillir une conférence de sensibilisation sur le handicap. J’en fait quelques-unes chaque année, et je m’aperçois qu’il y a un très bon accueil des salariés, des entreprises. Elles sont très surprises de ce que ces personnes peuvent apporter, et il y a une méconnaissance totale des salariés et des entreprises qui assimilent uniquement le handicap au fauteuil roulant ou à la déficience mentale. » Rien d’étonnant à ce près du tiers des employés handicapés taisent leur handicap dans le cadre professionnel, révèle l’enquête Inspirience publiée récemment. Pourtant, deux-tiers des salariés interrogés estiment que leur intégration a été facile ou très facile, ce qui montre qu’un handicap n’est pas nécessairement un obstacle.
Cette perception négative proviendrait-elle de lacunes d’information ? « Je pense que les organismes qui travaillent auprès du secteur public autant que privé ont intérêt à améliorer leur information, considère Jean-Philippe Murat. Pour les Handipreneurs, on a interrogé des entreprises et des responsables des ressources humaines. Ce qui ressort de leurs interrogations, c’est ‘où et comment je trouve une personne handicapée.’ Ils ne savent pas vers qui se tourner. Et après, ‘comment je l’intègre ?’ On s’est rendu compte qu’ils vivent un défaut d’information et de lisibilité, il leur semble assez compliqué de recruter une personne handicapée. » Ce qui concerne essentiellement les entreprises de moins de 250 salariés, estime-t-il : « Les entreprises intermédiaires de moins de 250 salariés ont le plus d’efforts à faire aujourd’hui, elles sont tournées sur leur activité et pas du tout sur les politiques RSE ou l’intégration de personnes handicapées. Selon les contacts que j’ai pu avoir, des grands groupes s’y sont mis. Après, ce sont les très petites entreprises qui sont sensibilisées à l’emploi de personnes handicapées. »
Toutefois, Jean-Philippe Murat soulève une difficulté majeure rarement mise en évidence : l’absence de solutions pragmatiques pour que des jeunes confrontés à des problèmes de mobilité accèdent à des études supérieures : « Dans les relations que l’on a pu avoir avec des étudiants, leur souci principal est de pouvoir se loger. Le logement privé n’est pas du tout adapté aux handicaps, et le public ne soutient pas le logement des étudiants handicapés. Partir pour aller étudier dans une grande ville, c’est quasiment impossible. Il manque une vraie réflexion sur le logement, et aussi sur le télé-enseignement, la possibilité d’avoir un quota de places réservées dans les grandes écoles ou les universités. On l’étudie avec l’école d’informatique Epitech pour réserver des places à des étudiants handicapés en difficulté de se loger afin qu’ils suivent les cours à distance. »
Des idées qu’il compte mettre en actions au sein des Handipreneurs, pour atteindre son but : « Je reviens toujours sur le même cheval de bataille, l’emploi direct. »
Yanous.com en partenariat avec les Handipreneurs, juin 2019.