Une venue au monde difficile lui a laissé le bras droit paralysé. On ne le remarque pas a priori : à l’instar de Jamel Debbouze, José Muñoz garde en permanence la main dans la poche de sa veste; mais la comparaison s’arrête là… José Muñoz travaille depuis l’adolescence : « Je suis entré très tôt au collège, à l’âge de 10 ans. Mais une lourde intervention chirurgicale m’a ensuite fait prendre du retard. J’ai eu la chance d’être orienté dans un collège appliquant la pédagogie Freinet, ouverte sur la vie, ça m’a pas mal boosté. Cette éducation travaillait sur le concret alors que l’abstrait me rebutait. Dès mes 15 ans, j’ai voulu entrer dans l’activité professionnelle tout en continuant à préparer un brevet comptable que j’ai obtenu à 17 ans ». Son actuel statut professionnel, il le doit à ses acquis et son expérience : il est conseiller auprès du directeur général de Suez.
José Muñoz s’est construit sur trois verbes : oublier, s’adapter, militer. « D’abord, oublier le handicap, parce que j’ai compris très vite qu’il fallait s’adapter à la vie en société; j’ai tout fait pour apprendre à réaliser les actes quotidiens avec un seul bras. Ensuite, s’adapter lors de l’adolescence, pour surmonter les soucis psychologiques, sortir avec mes copains, séduire, faire au mieux pour faire partie de la société. Enfin, militer; quand on est handicapé, c’est un vrai problème : je m’adaptais, je trouvais un support pour les tracts, je collais les affiches d’une seule main… J’ai toujours refusé de ne pas faire, mais à la longue, j’ai fait comprendre à mes camarades que je ne pouvais pas tout faire ». C’est là, en 2000, que survient son questionnement, après plus de vingt années de militance, distribuant des tracts, collant des affiches comme tous les autres militants : son handicap, sa différence, sont devenus invisibles. « Quand je me suis exprimé en tant que militant handicapé, j’ai ressenti une certaine incompréhension. J’en tire la leçon que lorsqu’on est parfaitement intégré, à force de s’habituer à une personne, on oublie qui elle est, ce qu’elle représente. Tout individu qui n’intègre pas son ‘anormalité’ dans la relation aux autres n’est pas un problème pour les autres ».
Cette prise de conscience, il la doit à sa rencontre avec Hamou Bouakkaz, militant socialiste et conseiller technique du maire de Paris, Bertrand Delanoë : « On a le même recul par rapport à la vie, y compris sur la politique. Comment agir dans une société qui n’accepte pas les personnes handicapées sans y être contrainte, que ce soit dans l’aménagement du cadre bâti, les transports, le travail ? Le dernier bastion à conquérir, c’est le monde politique. Alors on a pris notre bâton de pèlerin, on agit de concert, on s’identifie comme militants socialistes handicapés pour que cette différence soit reconnue ».
Depuis, ils tentent de faire évoluer leur parti et ont proposé une contribution statutaire demandant la création d’un quota de 6 % de militants handicapés dans ses instances et les candidats lors des élections. Une proposition qu’ils savent irréaliste mais qui est destinée à alimenter le débat.
« Le handicap est un sujet politique. Ce qui est fondamental, c’est l’intégration, qu’il faut faire émerger. Il y a une différence et un monde entre celui qui vit le handicap et celui qui ne le vit pas. Il y a des choses que je ne peux pas faire, et pour éviter la situation de précarité dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes handicapées, j’ai ressenti très tôt la nécessité de travailler pour me protéger ».
José Muñoz n’est pas intéressé par les tribunes et les titres, il se définit plutôt comme un « homme de l’ombre » et porte un regard très critique sur la République : « Si les institutions françaises étaient plus démocratiques, les parlementaires s’inscriraient réellement dans le processus de décision. La vraie démocratie est locale, on voit ce qui se crée et on mesure le résultat de son investissement humain ». Sa conception de la politique a conduit José Muñoz à choisir les élus pour lesquels il s’engageait, telle Anne Hidalgo, premier adjoint au maire de Paris, dont il fut l’un des conseillers de 2001 à fin 2006. Et son ambition serait d’être maire d’une petite commune, au plus proche des décisions.
Laurent Lejard, octobre 2007.