Le chemin de Kaj Nordquist semblait tracé dès l’adolescence : « Très jeune, j’étais convaincu de l’importance de la démocratie socialiste. Si vous m’aviez rencontré à l’âge de 15-16 ans, vous m’auriez dit ‘toi tu deviendras politicien’ ! Mais au lieu de devenir politicien, je suis devenu aveugle… Là, j’ai perdu mon chemin pendant une certaine période. Finalement, en intégrant une organisation d’aveugles, je suis devenu ce que l’on pressentait en moi quand j’avais 15 ans. » Entretemps, il s’était investi dans la musique (comme son frère Ulf), travaillant pendant huit ans dans ce domaine. Puis il a suivi des études universitaires et ce n’est qu’au début des années 1980 qu’il a retrouvé son chemin, adhérant au parti social-démocrate en 1982, en faisant du lobbying et en employant ses qualités de communicant (au timbre de voix remarquable) jusqu’à accéder à des responsabilités au sein de son parti. Il estime que la vie était alors plus facile pour un jeune aveugle en Suède que dans d’autres pays.
Aujourd’hui âgé de 58 ans, Kaj Nordquist a mené une vie de famille plutôt traditionnelle, auprès de ses trois enfants et de sa compagne. Son parcours professionnel est plus spécialisé, le conduisant à diriger des organisations d’aveugles : il préside actuellement la Synskadades Riksförbund (association des malvoyants), dans la province de Stockholm. Mais comment émerger dans un parti politique en Suède ? « Le parti social-démocrate est très différent des autres. C’est une union de nombreux mouvements, il est très étendu. Mais ce qui compte pour la promotion de ses membres, ce sont les compétences, l’engagement citoyen, dans un syndicat, une organisation d’employeur, des associations. » Si sa cécité n’a pas constitué un avantage pour sa promotion politique, Kaj Nordquist constate que ce sont ses 29 années de militance dans le mouvement « handicapé » qui ont été déterminantes. Et il affirme que son engagement n’est pas guidé par des motivations personnelles, estimant que les politiciens sont privilégiés dans d’autres pays, mieux rémunérés et avec plus d’avantages. « En Suède, on n’est pas tellement bien payés. La politique n’est pas une possibilité de gagner beaucoup d’argent, même pour les gens cyniques ! Pour avoir beaucoup de pouvoir et d’argent, il ne faut pas choisir la politique dans ce pays… »
A la municipalité de Stockholm, Kaj Nordquist traite les sujets relatifs au handicap; il gère également un service de gestion de tutelle. Comme tous les autres militants, il est au contact des citoyens : « Je fais du porte-à-porte, je vais sur les marchés. On s’installe dans des kiosques en bois, appelées ‘huttes d’élections’, c’est une vieille tradition suédoise. Lors des dernières élections, j’y étais pendant un mois, 7 jours sur 7, de 10 heures à 18 heures ! On voyage, on essaie de voir le plus de personnes possible. Quand il y a quelque chose de politique dans l’air, je me place avec mes tracts à la sortie du métro, près de chez moi, en banlieue. J’y habite depuis neuf ans, les gens me connaissent. Au début, j’avais noté que les gens réagissaient un peu face à ma forme différente d’être. Ils constataient que je ne voyais pas comme eux. Après, je me suis dit ‘tant pis’. Et maintenant, je n’ai pas l’impression qu’il y a de différence dans la relation : je parle toujours, je parle tout le temps, les gens notent que j’ai quelque chose à dire ! Quand je distribue des tracts, j’écoute quand quelqu’un approche et je donne un tract à chacun; ceux qui me regardent disent que je ne rate personne ! »
Le parti social-démocrate ayant enregistré un sévère (et inattendu) revers lors des élections générales de 2006, Kaj Nordquist n’a pas été réélu au Parlement (Riksdag) et s’est replié sur un mandat provincial, et enfin municipal depuis 2010. Député de 2002 à 2006, il avait participé au gouvernement de 2004 à 2006.
« Le pays allait très bien au point de vue économique avant les élections générales de 2006. Tellement bien qu’on aurait cru que le Gouvernement serait reconduit sans problème… ». Les citoyens en ont décidé autrement, plaçant au pouvoir les partis de droite et de centre-droit, tendance confirmée lors des élections de 2010. Mais Kaj Nordquist se prépare déjà aux prochaines élections générales, début septembre 2014 puisque le Parlement n’est jamais dissous et que l’échéance électorale est connue longtemps à l’avance, pour briguer un mandat de député dans une circonscription de Stockholm, en travaillant particulièrement sur ce secteur. « Au niveau personnel, j’ai appris que rien n’était sûr. Je peux voir aujourd’hui que les réponses du parti social-démocrate aux questions posées au peuple n’étaient pas bonnes. Mais j’étais tellement convaincu que je serais réélu… ! J’en ai tiré une leçon : la politique c’est ne jamais être sûr. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2011.
Merci à l’interprète Élisabeth Daude pour son aimable traduction de cet entretien, accordé par Kaj Nordquist à l’Hôtel de Ville de Stockholm.