« Je pensais que la question du vote des personnes handicapées mentales n’était pas un problème, pourquoi n’auraient-elles pas le droit de se prononcer sur ce qu’elles vivent ? ». Cette interrogation publiquement exprimée par le Maire de Vanves (Hauts-de-Seine), Bernard Gauducheau, était au coeur de la 3e Journée Citoyenne organisée par l’association Vie Citoyenne. Les représentants d’une dizaine de structures des Hauts-de-Seine recevant des personnes déficientes intellectuelles, certaines illettrées, ont présenté le travail d’apprentissage et d’appropriation de la citoyenneté réalisé depuis septembre 2011, usagers et éducateurs mêlés, chacun exprimant son expérience, son ressenti, ses attentes. Avec une diversité d’approche et une intelligence dans les actions accomplies, qui témoignent d’une maturité citoyenne tout en redonnant quelque fraicheur à la dimension politique du droit de vote, thème de cette Journée.
On a déjà présenté ici le travail du centre d’accueil de jour (CITL) de Vanves, qui a diffusé le film retraçant le processus d’élection du président du centre. L’une des actions des usagers de l’établissement a consisté à distribuer des tracts place de la Bastille à Paris, pour inciter les passants à voter : « C’était une expérience formidable pour les usagers, témoigne l’un des éducateurs. Un temps très fort, avec tous ces anonymes qui ont tendu la main, ont pris le temps de l’échange. » Le Foyer Michelle Darty de Boulogne-Billancourt a mis l’accent sur l’humour dans sa vidéo « Bref, je suis allé voter », sur la découverte du vote et l’inscription sur la liste électorale. Et les participants à cette action sont fiers d’avoir ensuite pu réellement voter pour l’élection présidentielle : « J’ai voté sur une machine électronique, explique François, ça s’est très bien passé, j’ai choisi le candidat, appuyé sur un bouton, confirmé et voté. » Delphine, qui est aveugle, s’est faite aider : « A Issy-les-Moulineaux, j’ai débarqué avec un éducateur. Il n’y avait pas le casque audio, il a fallu que j’insiste. » En effet, les machines de vote électronique doivent être équipées d’écouteurs pour assurer aux électeurs déficients visuels la confidentialité de leur vote puisque leur choix est confirmé vocalement. Malgré cet incident, Delphine est fière : « La carte d’électeur, c’est moi qui l’ai. Elle n’est pas dans le dossier du foyer. » Et si François est également fier d’avoir exprimé son droit de vote, il est déçu que son amie ne l’ait pas fait alors qu’elle est électrice.
Cette fierté de participer comme les autres à la vie citoyenne se retrouve dans tous les témoignages, même si le parcours n’était pas simple. Les usagers du Foyer Jeany (Montrouge) ont choisi de découvrir les lieux de la République : présidence, siège du Premier ministre, Assemblée Nationale et Sénat. « On ne connaissait l’Elysée et Matignon que par la télévision », raconte l’un de ces usagers. « J’ai été impressionné de rencontrer le maire de Montrouge, dit un autre. Il a fallu de la persévérance, de la maitrise de soi. Je ne savais pas tout ça avant, ça a été un peu dur de voter, mon père m’a aidé. » Mais voter, c’est faire un choix parmi des projets et idées politiques : « J’ai choisi sur la crise, exprime Claude, parce que la France dégringole, pour que ça change. Je n’ai pas voté au hasard. » Un acte plus difficile pour François, du Foyer Darty (Montrouge) : « J’ai eu du mal à faire mon choix parmi les programmes des candidats. »
Même affaire avec les propos des hommes politiques pour Jean-Paul, du CITL L’Egalité (Châtillon) : « Je les vois mal les élections, on n’y comprend plus rien. » Alors, avec d’autres usagers, il a créé l’Union pour la Citoyenneté des Handicapés (UCH) pour formuler des propositions (éducation, emploi, économie, écologie, santé, sécurité, social), qu’ils veulent faire connaître aux politiques. Ils se rencontrent tous les mardis, préparent un journal : « Etre citoyen, c’est aussi avoir un travail, voter, se marier, avoir une vie de famille », conclut Jean-Paul. L’équipe du CITL a également filmé Karine lors de sa demande de droit de vote formulée au juge des tutelles. Elle a argumenté pour expliquer pourquoi elle veut voter, exprimer son avis, ses idées, comme sa mère à des idées, et pour donner des idées au Président : « Le président de la République doit écouter les gens qui l’élisent. » Elle a su convaincre le juge, et a voté pour la première fois lors des présidentielles. David, lui, avait peur d’aller s’inscrire sur la liste électorale, par peur qu’on le juge, alors qu’une employée l’a spontanément aidé en remplissant la demande.
La maturité s’exprime pleinement dans les travaux présentés par l’ESAT Yvonne Wendling (Issy-les-Moulineaux) et le Foyer de Fleury (Meudon). L’ESAT s’est plongé dans l’histoire du droit de vote des femmes, exhumant des archives des documents iconographiques et sonores rarement vus ou entendus, une recherche qui met en parallèle deux conquêtes de la citoyenneté. Avec toutefois une grande déception : les usagers souhaitaient rencontrer la députée européenne et ancienne ministre de la Justice Rachida Dati, pour qu’elle s’exprime en temps que femme élue et en faire une figure emblématique, mais elle n’a pas daigné répondre à leur lettre adressée en décembre 2011… Le Foyer de Fleury a, de son côté, mondialisé la citoyenneté en réalisant une carte des pays qui montre les pays où l’on vote… ou pas. « Le projet de carte a été très dur à mettre en place, explique l’un des acteurs. On se réunissait tous les soirs. »
Outre son collègue de Vanves, Catherine Margaté, maire de Malakoff, a assisté à cette journée : « C’est un formidable travail pour que des personnes en difficulté puisse être des citoyens à part entière. Je trouve que c’est très positif pour la citoyenneté et la participation à la vie publique. Le droit de vote prend là toute son acception du mot Droit. La ville a signé une charte Handicap, mais je pense que nous avons certainement sous-estimé le volet citoyenneté et nous allons le retravailler. Cette journée m’a donné des idées pour élaborer un nouveau chapitre de la charte. »
Initiateur des Journées Citoyennes grâce à l’association Vie Citoyenne qu’il préside, Mouhannad Al Audat est optimiste pour l’avenir : « Le travail sur la citoyenneté ne se fait pas en six mois, on l’a commencé il y a trois ans, et il ne s’arrêtera pas parce qu’on se retrouve avec de nouveaux usagers, qui ont besoin d’aide, d’explications, et de créer l’expression de leur façon de voir la société, de comprendre ce qui se passe autour d’eux. » Il estime que la démarche engagée dans les Hauts-de-Seine est transférable : « Il faut travailler en réseau, jamais seul. S’ouvrir vers les autres, partager avec eux, l’activité est plus riche et constructive, et automatiquement la démarche est faite. » Rendez-vous l’année prochaine pour la 4e Journée Citoyenne, sur le thème de la mondialisation, nul doute que les approches et les points de vue décoifferont, une fois de plus.
Laurent Lejard, juin 2012.