La décision d’accepter ce poste a été difficile, bien qu’elle paraisse naturelle après de mures réflexions. C’était difficile parce que s’impliquer et travailler au plus haut niveau de l’État demande beaucoup de sacrifices de soi. De l’autre, elle était naturelle en raison de mon engagement envers le pays et les personnes handicapées. Car, depuis 2004, je me suis impliqué quotidiennement dans la question du handicap au niveau de la société civile. Aussi, pas un jour de ma vie, n’ai-je jamais pensé qu’une personne, handicapée ou pas, peut se décharger de ses responsabilités citoyennes ni de son devoir de participer aux biens communs.
A mon avis, les perceptions sociales relatives à mon leadership au sein du Bureau du Secrétaire d’État à l’Intégration des Personnes Handicapées (BSEIPH) sont positives. J’ai, depuis, développé de très bons rapports non seulement avec les partenaires institutionnels mais aussi avec les associations de personnes handicapées et celles oeuvrant dans le domaine du handicap. Ensemble, un effort sans cesse croissant se fait en vue d’atteindre les personnes handicapées, d’améliorer leurs conditions de vie en prenant en compte leurs besoins particuliers et en mettant l’accent sur les services généraux devant être accessibles à tous les citoyens indistinctement.
De plus, je ne suis pas le premier Secrétaire d’État vivant avec un handicap. Mon prédécesseur [le docteur Michel Archange Péan NDLR] a été un non-voyant qui a fait un travail exemplaire. Il est respecté autant au sein de la population de personnes handicapées qu’à l’échelle de la société en général. Aussi, des personnes vivant avec un handicap ont-elles pu se faire élire à différents moments au Sénat de la République ou à la Chambre des Députés. C’est le cas de l’ex-Sénateur Jean Jacques Clark Parent pour le Département de l’Ouest. On peut dire qu’Haïti a déjà une page d’histoire écrite dans le domaine. Pour ma part, j’ai présidé auparavant pendant deux ans le Conseil National pour la Réhabilitation des Personnes Handicapées (CONARHAN) avant de devenir Secrétaire d’État [en octobre 2011 NDLR]. Cela dit, ma capacité de travail aussi bien que mes compétences professionnelles étaient déjà connues du public.
Certes, les problèmes de perception en général, les mentalités sociales à l’égard des personnes handicapées, sont complexes. Cela est souvent corrélé avec le niveau d’éducation de la société en général. Les changements de mentalités dépendent d’un constant et profond travail de prise en compte des droits des personnes handicapées et de l’amélioration progressive de leurs conditions matérielles d’existence. C’est un travail qui doit se faire dans la durée. Il faut, toutefois, reconnaître qu’Haïti n’est pas en reste dans ce domaine malgré ses nombreuses difficultés en matière de développement économique et social.
Historiquement, il y a plein de domaines dans lesquels ce pays a souvent enregistré des avances sur nombre de sociétés plus développées, surtout quand il s’agit du rapport avec les mouvements d’émancipation sociale. La question de la reconnaissance des droits des femmes est peut-être un exemple. Parallèlement, on notera que la question du handicap est inscrite dans l’agenda politique depuis le début des années 1980, même s’il a fallu attendre les cinq dernières années pour l’adoption d’un cadre légal consacrant une démarche éminemment inclusive. Sur ce plan, l’avancée est peut-être significative avec l’adoption de la loi du 13 mars 2012 portant sur l’intégration des personnes handicapées, et la ratification à la fois de la Convention des Nations Unies sur les droits des Personnes Handicapées et la Convention Interaméricaine sur l’Élimination de toutes les Formes de Discriminations contre les Personnes Handicapées en 2009.
Le combat d’aujourd’hui porte surtout sur le dispositif participatif incluant l’adoption des normes d’accessibilité universelle, la mise en place d’un cadre de réhabilitation des personnes handicapées et la matérialisation des droits reconnus à ces dernières, notamment dans le domaine de l’éducation, de la santé, du logement, du travail. Dans ces différents domaines, la progression risque d’être lente en rapport avec la situation générale de l’ensemble des populations.
Ce faisant, je pense que le regard extérieur est nécessaire mais doit être pris avec prudence. Il est facile de voir Haïti comme un pays où rien ne bouge, surtout quand il est vu sous l’angle de la pauvreté absolue, de la misère sociale dominante. La mesure de prudence serait plutôt de le voir comme un pays très contrasté. Les changements sociaux sont souvent invisibles, pourtant ils sont bien réels.
Gérald Oriol Jr,
Secrétaire d’État à l’intégration des personnes handicapées de la République d’Haïti,
avril 2014.
PS : Gérald Oriol Junior a occupé cette fonction jusqu’en mars 2020, où il a été remplacé par Soinette Désir.