Féru de culture, Paul-Emile Mottard a débuté sa carrière au cabinet du ministre de la Culture de la Communauté Française de Belgique puis l’a poursuivie dans plusieurs institutions culturelles de Wallonie. Socialiste, il s’est présenté aux élections provinciales en 1977, constamment réélu. Depuis 2012 il est député provincial (c’est-à-dire « ministre ») chargé de la Culture, de la Jeunesse, du Tourisme et des Fonds européens. Il siège à Liège.
Question : Quelles sont les compétences du Parlement Liégeois ?
Paul-Emile Mottard : La Belgique est un état fédéral avec trois Régions, dix Provinces, et les Communes. Dans chaque Province, il y a un Conseil provincial qui est son Parlement duquel on désigne le gouvernement qu’on appelle Collège provincial. Les membres de ce Collège s’appellent députés provinciaux. Nous avons des compétences assez diverses; pour notre Province l’enseignement, la santé, la culture, le tourisme, l’agriculture.
Question : Vous êtes resté dans le domaine culturel, que vous connaissez bien…
Paul-Emile Mottard : J’ai débuté ma carrière en 1977 chez le ministre de la Culture liégeois, je travaillais déjà au niveau politique. Après, je suis allé à l’Orchestre Philharmonique de Liège où j’ai travaillé plus de vingt ans avant de devenir en 2000 député provincial.
Question : En 2013 survient un accident de santé, la rupture d’aorte qui vous rend paraplégique…
Paul-Emile Mottard : Exactement. C’était un beau week-end de septembre, un samedi en fin de journée à la campagne avec mon épouse, on jardinait tous les deux. J’ai ressenti une violente douleur à la poitrine. On a eu le réflexe qui m’a sauvé la vie : mon épouse a appelé un oncle médecin qui nous a dit de filer à l’hôpital, on est arrivé aux urgences, ça a été l’opération, je suis resté trois mois en soins intensifs puis neuf mois en rééducation. Un an d’hôpital au total.
Question : Un an où vous êtes resté au contact de l’action politique.
Paul-Emile Mottard : Oui, je pense que ça a été bien utile, c’est une chance d’avoir ce mandat. A l’hôpital, dès le mois d’avril j’ai participé via Skype aux séances du jeudi du Collège qui se tiennent au Palais Provincial [aile néogothique du palais des Princes-Évêques NDLR]. On avait mis en place avec la directrice générale de la Province une navette de documents apportés tous les jours par un chauffeur, des parapheurs, des courriers. Ça s’est fait petit à petit et m’a permis de reprendre assez rapidement la dynamique de l’activité politique dans laquelle j’étais.
Question : Cette période de six mois de « ministre à distance » vous a fait retrouver le terrain; comment s’est déroulé votre retour en passant de la position debout à la position assise ?
Paul-Emile Mottard : Je dois dire que ça a été assez difficile parce que j’étais dans le cocon de l’hôpital. J’avais fait deux sorties pour assister à des obsèques de collaborateurs et amis, j’étais dans une chaise roulante manuelle et c’était psychologiquement très dur. D’abord tout ce petit monde me retrouvait pour la première fois, non seulement ils marquaient des signes de sympathie et de questionnement sur mon état, mais à la fois je découvrais la vie d’être assis dans une chaise manuelle, ce qui vous donne un sentiment d’oppression. Ce n’était pas facile à vivre. C’est la raison pour laquelle j’utilise maintenant une chaise électrique avec un siège qui s’élève et me met à niveau de mes interlocuteurs. C’est logiquement la chose que j’ai identifiée assez rapidement. Ce n’était pas simple mais mes sorties étaient limitées dans le temps parce que je devais rester allongé dans ma chambre. C’était aussi des sorties qui me permettaient de m’échapper de l’hôpital, un peu comme une permission !
Question : Vous avez ainsi réduit ce sentiment d’infériorité qu’expriment d’autres élus en fauteuil roulant, mais quel a été votre rapport avec les citoyens quand ils vous ont vu ainsi ?
Paul-Emile Mottard : Je pense qu’ils ont retrouvé le député qu’ils connaissaient; certes, il lui est arrivé une difficulté de vie importante mais on est toute de suite revenu à un dialogue égalitaire. J’ai continué à assister à des vernissages, des pièces de théâtre, des concerts, tout cela nécessite un peu d’organisation. Les activités nocturnes dans les concerts ou les théâtres nécessitent parfois un peu de repos dans l’après-midi pour que je ne sois pas trop fatigué ou avoir des douleurs au dos. Globalement, je n’ai pas vraiment eu « le regard », c’est vrai qu’au début on a l’impression que tout le monde vous regarde, mais ça s’est estompé assez rapidement.
Question : Cette situation vous a conduit à vous intéresser à des sujets auxquels vous n’aviez pas porté attention, tel le statut social des personnes handicapées, l’accessibilité, leurs moyens d’existence, l’accès à l’emploi ?
Paul-Emile Mottard : Effectivement, vous découvrez un monde qui était à côté de vous et que pour ma part je connaissais assez mal. Le statut d’élu fait que beaucoup de personnes s’adressent à vous, vous interpellent. Déjà quand j’étais à l’hôpital je réglais des problèmes, soit d’autres personnes hospitalisées, voire du personnel, qui se trouvaient dans des situations difficiles ! Je m’investis petit à petit dans cette réflexion qui est « que puis-je apporter à d’autres » puisque j’ai la chance d’avoir un réseau, d’avoir l’une ou l’autre entrée dans des organismes ? Et moi-même, dans mes compétences, j’ai le tourisme, nous allons lancer des initiatives pour l’accessibilité aux personnes à mobilité réduite dans les attractions touristiques, dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants. C’est une complémentarité à l’action politique que je menais précédemment.
Question : Vous êtes l’un des trois parlementaires belges handicapés; quel est votre sentiment face au très peu de personnes handicapées ayant un mandat électif ?
Paul-Emile Mottard : Je continue à aller en rééducation à l’hôpital trois fois par semaine, je pense qu’on a parfois le réflexe du repli sur soi et de l’isolement. Le quotidien de la personne handicapée prend beaucoup de temps, pour s’occuper de soi, alors que moi j’ai des conditions qui permettent d’avoir repris ce mandat politique, j’ai un environnement qui m’aide et qui solutionne les problèmes. Cet isolement de la personne handicapée fait qu’elle n’est pas nécessairement dans des réseaux de militants, dans mon parti en tous cas. Effectivement en ce qui concerne la Province de Liège il n’y en a pas beaucoup. Je pense que la cause première est la difficulté de s’occuper des autres en plus de s’occuper de soi.
Question : Vous arriverez en 2018 au terme de votre mandat; vous représenterez-vous ?
Paul-Emile Mottard : Je n’ai pas pris de décision, il y a tellement d’éléments politiques qui interviennent que je dois en parler avec mes collègues. Et il y a l’état physique, aussi, qui fait que ça me fatigue, prend beaucoup d’énergie. Tous ces éléments seront discutés dans les prochains mois.
Question : Le poids quotidien du handicap pourrait constituer un frein pour solliciter un nouveau mandat ?
Paul-Emile Mottard : Ceci est mon troisième mandat, ça fera dix-huit ans, c’est déjà assez long. La situation politique en Belgique est un peu tendue, et il y a un élément que je ne peux pas modifier, qui est mon âge… Mais ça va se poser, je n’attendrai pas le mois de décembre, à un moment je devrais prendre la décision.
Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2017.