Force est de constater qu’aujourd’hui le regard que la société porte sur les personnes handicapées et la place qu’elle leur accorde en son sein ne leur permettent pas de participer pleinement à la vie de la cité. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame que « tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Pourtant, l’existence ou la survenue d’un handicap interroge profondément l’exercice de ces droits fondamentaux par ceux d’entre nous qui en sont victimes.
Rappelons que 12 millions de français, sur 65 millions, sont touchés par un handicap, et que 80 % des handicaps sont invisibles. Même s’il est le symbole utilisé pour le handicap, le fauteuil roulant ne concerne que 2% des situations. Au cours de sa vie, 1 personne sur 2 connaîtra une situation de handicap ponctuelle ou définitive. 2,7 millions de personnes ont une reconnaissance administrative de leur handicap, soit 7% de la population active.
Le handicap peut concerner tout le monde, ce n’est pas une situation figée à un moment donné. Il peut concerner certains à la naissance comme d’autres à un moment de leur vie et la plupart pendant la vieillesse où des formes de handicap apparaissent également. Malgré les dispositions législatives, le handicap reste une cause d’exclusion, en termes d’éducation, d’accès aux infrastructures, d’intégration professionnelle, mais aussi d’acceptation sociale.
L’emploi et l’école sont les deux moteurs de l’intégration des personnes handicapées. Dès le début du parcours scolaire, la question du handicap peut devenir un frein ou une barrière. Si la scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire a fortement progressé depuis 2005, avec une augmentation de 33 %, de très nombreux jeunes restent aujourd’hui sans solution de scolarisation, sans compter tous ceux qui, accueillis à temps partiel, ne bénéficient pas d’une scolarité satisfaisante. De même, la question de l’insertion professionnelle des personnes handicapées, dont le taux de chômage est deux fois supérieur au taux de chômage de la population active, reste un sujet majeur de préoccupation.
La France accuse en effet un retard important en matière d’insertion sociale des personnes handicapées. Si la loi du 30 juin 1975 en a fait une obligation nationale et la loi du 11 février 2005 a fixé des objectifs ambitieux reposant sur un principe d’accessibilité universelle et un droit à compensation des conséquences du handicap, ces textes n’ont pas fondamentalement contribué à changer notre façon de considérer le handicap et à en faire un axe incontournable des décisions publiques.
Là où nous devrions avoir en permanence un « réflexe handicap » qui nous interroge sur le bien-fondé de nos actions et de nos décisions et sur leur adaptation aux personnes en situation de handicap, nous n’avons aujourd’hui que des initiatives ponctuelles, spécifiques, morcelées et cloisonnées. Autrement dit, au coup par coup. Le vrai problème que connaît la France, c’est d’avoir tendance à penser au handicap uniquement lorsque des lois sur les personnes handicapées sont votées ou de le concevoir de manière sectorisée ou catégorielle.
En revanche, le modèle scandinave a un toute autre logique. Ainsi, au Danemark, la politique du handicap, basée sur les principes de solidarité, de normalisation et d’intégration, rend la société responsable de l’adaptation des services qu’elle propose aux besoins des personnes handicapées. L’intégration des personnes handicapées constitue en outre un objectif général imposé aux administrations locales et régionales.
Un changement de méthode dans notre conception des politiques du handicap est impératif. Le handicap ne doit plus être considéré comme un sujet spécifique, examiné à part, dans des textes ad-hoc. La réflexion sur la prise en compte du handicap doit irriguer l’ensemble des initiatives prises dans la sphère publique, mais également privée, au niveau national comme au niveau local, individuel et collectif. La société inclusive appelle à une révolution conceptuelle.
Il y a dans la société aujourd’hui beaucoup d’initiatives, beaucoup d’acteurs en avance, des associations, des institutions, des entreprises, des initiatives privées, etc. Nous, responsables politiques, nous devons prendre en considération ces changements et faire évoluer notre approche du handicap. C’est uniquement de cette façon que la partie pourra être gagnée et que tout le monde, y compris les personnes en situation de handicap, pourra bénéficier d’une égalité de la chance.
Il est de notre responsabilité d’élus et d’acteurs de terrain de contribuer à faire advenir dans notre pays une telle société, une société inclusive, c’est-à-dire une société ouverte à tous qui doit être conçue pour toutes les personnes, quelles que soient leur situation et leurs particularités.
La société inclusive engendrerait une société permettant à chaque citoyen de jouir pleinement des droits que lui confère la Constitution et de mener une vie décente. Le handicap ne serait pas considéré comme une caractéristique inhérente à une personne l’empêchant de s’intégrer dans la société au même titre que les autres citoyens, mais comme ce qui caractérise l’interaction entre une personne et son environnement : par conséquent, si des obstacles naissent de cette interaction, il appartiendrait à la société de s’organiser pour les éliminer et garantir à la personne handicapée la possibilité de participer pleinement à la vie de la cité.
La société inclusive appelle à une révolution conceptuelle !
Damien Abad, député Les Républicains, décembre 2017.