Cela fait presque 37 ans que Pier Carlo Businelli siège au conseil municipal de Saint-Martin-du-Tertre (Val d’Oise), sa commune d’adoption. Né dans le Piémont italien en 1952, il est arrivé en France quatre ans plus tard avec sa famille. Il a conservé le goût de son pays natal, dont il parle un peu la langue, en participant activement au comité de jumelage avec San Marcello Pistoiese, une ville de Toscane qui compte deux fois plus d’habitants que Saint-Martin-du-Tertre.
Sexagénaire, Pier Carlo Businelli est devenu aveugle d’un oeil en 1967 du fait d’une chute dans la cour non goudronnée et verglacée du lycée de Luzarches (Val d’Oise). « Elle avait été nettoyée au jet d’eau alors qu’il gelait, j’ai porté un paquet de livres pour aider un professeur, et j’ai chuté. Depuis mon problème visuel, je me suis toujours engagé. En 1968, dans une école de Saint-Cloud j’étais représentant des élèves. » 30 ans plus tard, une variante de glaucome a endommagé sa vision de l’oeil droit, et une intervention chirurgicale malheureuse au laser deux ans plus tard dans une clinique privée du 16e arrondissement de Paris l’a achevé. Depuis lors, il ne voit plus que des ombres : « Aujourd’hui, c’est comme si je voyais à travers un verre cathédrale ! » Un an plus tard, en 2000, il arrêtait l’activité de cadre de gestion qu’il exerçait depuis 1971 dans une grande entreprise chimique de La Plaine Saint-Denis.
« Ce qui m’a conduit à Saint-Martin-du-Tertre, c’est Louis Désenclos, élu maire dès 1945. Il avait un grand charisme, j’ai beaucoup discuté avec lui, il m’a incité à m’engager en me demandant en 1983 d’entrer au conseil municipal. Et je me suis retrouvé pris par l’envie de continuer. J’ai participé au Comité des fêtes, au comité d’animation de la commune. En 1989, il m’a proposé un mandat d’adjoint à l’urbanisme. Et j’ai continué avec d’autres activités. » Pier Carlo Businelli a donc siégé dans la majorité municipale de gauche du maire communiste Louis Désenclos puis de son successeur apparenté communiste Roger Dufour, premier adjoint de 2001 à 2013 sans être encarté dans un parti : « Quand on me demande mon étiquette, je réponds ELDG, électron libre de gauche ! «
Depuis les élections de 2014, il siège dans l’opposition au sein d’un conseil désormais ancré très à droite et dont le maire a récemment été mis en minorité par encore plus droitier que lui : « J’ai de bonnes relations avec le maire. Opposé aux logements sociaux, il avait le projet d’acheter une maison forestière pour en faire… des logements sociaux. J’étais prêt à le soutenir, son premier adjoint en a décidé autrement, il a regroupé 10 élus de la majorité sur 18 mais le maire a pu acheter la maison avec les cinq voix d’opposition : les élus de la majorité sont en guerre, ils se sautent dessus, démissionnent… » Mesquineries, chausse-trappes, injures et coups entre conseillers de la majorité, les appétits électoraux s’aiguisent à l’approche des élections municipales dans lesquelles Pier Carlo Businelli hésite à s’engager : « La démocratie guide ma vie ! », clame-t-il, mais à Saint-Martin-du-Tertre, elle semble bien malade.
Un incident survenu en mai dernier lors de l’élection au Parlement Européen n’est pas pour l’encourager : le maire a refusé que Pier Carlo Businelli participe à la tenue d’un bureau de vote, ce qu’il avait fait pendant les 25 ans d’avant et pendant sa malvoyance. Un refus qui s’inscrit dans le conflit ouvert entre conseillers de la majorité : « Les réflexions me sont passées par-dessus la tête mais ce n’est pas pour moi que j’ai ensuite communiqué. Le refus était dirigé contre l’opposant au maire qui cherchait un suppléant pour ce bureau de vote. » Pier Carlo Businelli, qui veut vivre en bonne entente avec tout le monde, n’a pas accepté que sa malvoyance soit instrumentalisée pour régler des comptes dans le camp d’en face. Jusqu’alors, il n’avait pas eu à se plaindre des autres élus : « Je n’ai ressenti aucun changement de perception des élus et des citoyens au fil de ma malvoyance. J’ai toujours été aidé, même dans les déplacements. Les gens se présentent dès qu’ils savent que je suis malvoyant. Je n’ai jamais subi d’inconvénient. Les problèmes de vision ne m’ont jamais empêché d’agir. C’est ce qui m’a dérangé dans la situation actuelle. » Il a donc saisi la presse locale, écrit aux secrétaires d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, et chargée de la lutte contre les discriminations, Marlène Schiappa, qui ne lui ont pas répondu… « Quand vous vous êtes engagé pendant 37 ans, les proches font des sacrifices, on vit moins ensemble. Il y a peut-être une personne qui voudrait s’engager demain, aussi il faut que ce soit écrit : soit il est possible à un aveugle de tenir un bureau de vote, soit ça ne l’est pas. »
Loin de ces bisbilles politicardes, Pier Carlo Businelli se consacre au patrimoine architectural et historique de sa ville, dont la gestion d’un petit musée consacré à la télégraphie Chappe : « Je me suis lancé dans l’inconnu. Le maire de l’époque avait reçu un courrier de la mission du Bicentenaire pour commémorer celui de la première transmission Chappe. On a eu le soutien du musée de la Poste. Depuis, je fais toujours l’animation du musée. Il est dans une tour construite en 1840, avec l’Office de Tourisme en bas, le musée Chappe à l’étage, et un escalier pour accéder au belvédère. Je reçois en visite commentée 500 à 600 visiteurs par an. » Là encore, le musée a résisté aux volontés municipales, avec suppression de subvention heureusement récupérée auprès de la communauté de communes à laquelle la gestion de la tour a été transférée : « On reçoit énormément de randonneurs grâce à la forêt de Carnelle, au site de la Pierre Turquaise qui est la plus importante allée couverte de la région parisienne, près de 120.000 visiteurs par an. » De quoi occuper activement Pier Carlo Businelli s’il devait raccrocher l’engagement qui a construit une partie de sa vie !
Laurent Lejard, octobre 2019.
PS : Le maire de Méry-sur-Cher (670 habitants), Sylvain Nivard, l’un des deux maires aveugles de France, nous précise que lors de chaque élection, il a présidé le bureau de vote de sa commune sans avoir rencontré la moindre objection ou réflexion. La préfecture du Cher, qui ne pouvait ignorer la situation, ne s’y est jamais opposée. Le fera-t-elle à l’occasion du dernier scrutin que Sylvain Nivard présidera, en mars prochain ? Il a en effet décidé de ne pas se représenter.