Un seul député (Damien Abad), une poignée de conseillers régionaux et départementaux, davantage de conseillers municipaux, l’engagement de personnes handicapées dans la vie politique de nos institutions est encore peu présent et visible. Parce qu’il ne suffit pas de se présenter aux suffrages puis d’être élu, encore faut-il être en mesure de remplir un mandat électif malgré des handicaps physiques, visuels, auditifs ou mentaux, ce qui nécessite de disposer des moyens de compensation indispensable, ce qui n’est pas si simple comme on le constate en Haute-Garonne.
Prestation de Compensation du Handicap et mandat électif
La situation d’Alain Gabrieli témoigne de cette difficulté de dissocier les actes de la vie quotidienne d’un homme entièrement dépendant de l’aide humaine et ceux de l’élu territorial. Vice-président du Conseil Départemental de Haute-Garonne, il achève son second mandat et envisage de se représenter à l’élection du printemps 2021 : « Je n’ai pas plus de moyens que mes collègues, deux collaborateurs comme les autres vice-présidents. » Mais s’y ajoute une auxiliaire de vie couverte par la Prestation de Compensation du Handicap qui l’assiste pour tous les actes quotidiens : « Vous imaginez ce que c’est d’avoir une auxiliaire de vie en permanence derrière vous, j’ai besoin d’un peu d’intimité, pour penser, être seul, etc. Mes deux collaboratrices du conseil départemental, à côté une auxiliaire de vie pour l’aide quotidienne et pendant les déplacements, j’ai de l’aide humaine 24 heures sur 24. » Théoriquement, la PCH ne devrait pas couvrir les temps d’élu territorial, et cela résulte d’un arrangement pragmatique entre la Maison Départementale des Personnes Handicapées et le Département qui la préside. « La PCH est couverte à 24% par la dotation de la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie, au lieu des 50% prévus en 2005. Donc, la plus grande partie de ma PCH sort des caisses du Conseil Départemental. La MDPH a distingué les heures d’élu de celles de vie quotidienne. » Mais si en Haute-Garonne cela fonctionne ainsi, cela met en évidence la complexité d’une législation mal écrite : « Les membres du conseil départemental en situation de handicap peuvent également bénéficier du remboursement des frais spécifiques de déplacement, d’accompagnement et d’aide technique qu’ils ont engagés et qui sont liés à l’exercice de leur mandat. » S’il est aisé de distinguer les déplacements et matériels liés au mandat électif, il est impossible de le faire pour l’aide humaine, sauf à multiplier les personnels par deux : l’un aide l’élu dans sa mission, l’autre pour manger, aller aux toilettes, enlever sa veste, etc., ingérable !
Côté matériel, Alain Gabrieli est bien soutenu depuis sa première élection en 2008. « L’hémicycle de l’assemblée départementale a été mis en accessibilité, avec une pente douce à l’endroit de mon positionnement et dans les salles des commissions. Il y a eu d’autres mises en conformité, pour que je travaille de la manière la plus aisée : ajout sur mon pupitre d’un micro plus mobile, des boutons de vote plus proches. Depuis ma première élection, mon handicap a évolué, j’ai 56 ans et les aménagements ont suivi. Un WC m’est réservé, équipé d’un lève-personne. » Devenu vice-président pendant son second mandat, son bureau a été agrandi en abattant une cloison afin qu’il puisse recevoir des citoyens en fauteuil roulant. Il dispose d’un ordinateur à grand écran et d’un Ipad, peut utiliser sur ces équipements tous ses outils numériques, comptes mél personnels inclus, un tout en un pratique. « Pour les déplacements, ça a été très discuté parce que c’est coûteux pour le conseil départemental. J’utilise ma voiture aménagée, avec un chauffeur à disposition dont l’assurance est prise en charge, ainsi que le carburant. » Alain Gabrieli n’a pas voulu faire porter au Département la charge d’un véhicule de fonction aménagé, et ne perçoit pas d’indemnité kilométrique pour l’utilisation de sa voiture. Ses déplacements et visites de terrain nécessitent une préparation, dont l’acheminement éventuel d’un élévateur fauteuil roulant mobile pour accéder à une tribune par exemple. « J’ai vécu des difficultés, concède Alain Gabrieli, notamment lors du premier mandat, essentiellement dus au réceptif. J’ai vu plusieurs élus du Conseil descendre de l’estrade dans un lieu où l’accès n’était pas prévu. » Il a également été parfois empêché de suivre des visites de chantier : « J’ai toujours été bien accueilli, je comprends certaines impossibilités. J’ai vraiment le sentiment d’être considéré comme tout autre élu. Aucun des autres vice-présidents ne m’épargnent quand il faut bosser. »
La compensation, une arme politique ?
Toujours en Haute-Garonne, Odile Maurin siège depuis juin dernier aux Conseils Municipal et Métropolitain de Toulouse. Si comme Alain Gabrieli elle se déplace en fauteuil roulant électrique, son autonomie est plus importante mais elle a également besoin d’aide humaine que l’administration de la ville et de la métropole rechigne à fournir. « Je suis en difficulté pour obtenir des moyens suffisants de compensation de mes handicaps en tant qu’élue d’opposition. Selon la mairie de Toulouse, j’ai droit à un budget d’environ 7.800€ par an pour rémunérer une tierce personne dans le cadre de la compensation de mes handicaps, mais cela se limiterait à me conduire et être présent à mes côtés pendant les conseils municipaux et métropolitains. Ça permet de proposer 400€ de salaire net par mois. Or au-delà de mes handicaps visibles, mon Asperger, les conséquences cognitives de mon traumatisme crânien à l’âge de 18 ans et l’interaction avec mon handicap physique nécessitent un accompagnement humain plus important, et notamment de l’aide pour préparer les dossiers des commissions, saufs à m’y épuiser bien trop rapidement. » En clair, Odile Maurin a besoin d’un assistant personnel pour l’aider à étudier les dossiers, préparer les délibérations, et c’est ce temps indispensable que le 1er adjoint et questeur refuse de prendre en compte : « Comme j’ai pu vous l’expliquer, le cadre législatif et réglementaire actuel ne prévoit pas de remboursement dans un tel cas figure, lui a-t-il écrit le 16 octobre. [il] ne prévoit une compensation des frais d’assistance des conseillers municipaux en situation de handicap que pour les frais d’accompagnement et d’aide technique pour prendre part aux séances [souligné dans la lettre NDLR] du conseil, des commissions et des instances dont ils font partie ès qualités (et non pour la préparation de celles-ci). » La conseillère municipale Odile Maurin ne devrait donc être qu’une élue-potiche !
L’administration municipale a toutefois fini par accepter de couvrir l’aide humaine à la participation d’Odile Maurin au Conseil de la Métropole, après s’être retranchée là encore derrière un « décret non pris à ce jour ». Argument que n’oppose pourtant pas la communauté d’agglomération Pays Basque : elle a délibéré pour prendre en charge les frais spécifiques d’élus handicapés dans le cadre de leur mandat (transport adapté, aides humaines et techniques, etc.). Toulouse n’est pas dans le pays basque, mais la loi française s’y applique tout comme dans la métropole toulousaine. Et ce n’est pas fini : tous les élus toulousains ont reçu une tablette numérique, qu’Odile Maurin ne peut manipuler. Elle a demandé qu’elle soit remplacée par un ordinateur portable, ce que l’administration municipale veut bien accepter mais à condition qu’il ne soit utilisé que pour les seules tâches du mandat de la conseillère. Odile Maurin devrait donc jongler avec plusieurs ordinateurs, l’un avec la messagerie municipale et l’autre sa messagerie militante et personnelle, pratique pour une citoyenne handicapée dépendante ! Et « pour que soient mises en place les facilités que vous sollicitez », le questeur proche collaborateur du Maire se permet également de renvoyer Odile Maurin à « l’esprit de solidarité qui inspire les collègues de votre groupe [politique] – qui en font une valeur forte de référence dans toutes leurs interventions publiques ». Du pur cynisme qui exonère la municipalité de ses obligations de compensation des handicaps.
De quoi donner à la conseillère municipale et métropolitaine Odile Maurin le sentiment d’être maltraitée parce qu’elle n’a jamais ménagé ses critiques envers le maire de Toulouse, réélu en juin dernier, et d’être victime d’obstructions qu’elle n’aurait pas vécues si elle siégeait dans la majorité municipale. La compensation du handicap peut effectivement être une arme politique.
Laurent Lejard, novembre 2020.