A sa manière, Nicolas Karasiewicz est une personnalité connue du département du Nord-Pas-de-Calais : la presse locale lui a consacré plusieurs articles ou interviews sur des sujets aussi divers qu’une appli mobile d’accessibilité installée en janvier 2020 dans une brasserie ou les vols et agressions répétés qu’il a subis du fait de sa cécité et malgré une carrure imposante. En juin 2015 il mobilisait contre la suppression de la gratuité pour les clients déficients visuels dans les transports en commun de l’agglomération lilloise en lançant une pétition recueillant 16.000 signatures. Alors vice-président de la Métropole Européenne de Lille (MEL) en charge des transports, Gérald Darmanin avait rejeté cette demande en invoquant moult prétextes ; actuellement, les clients aveugles sont renvoyés à un abonnement mensuel à 7,50€. Gérald Darmanin qui, à la faveur de l’élection présidentielle de mai 2017 a rejoint le gouvernement et sa majorité menée par La République En Marche, parti auquel Nicolas Karasiewicz appartient actuellement.
Créateur d’entreprise par défaut
Faute de trouver un emploi durable et intéressant, Nicolas Karasiewicz a décidé de créer sa propre activité : « J’ai passé dix ans à chercher du boulot dans les métiers du tertiaire. J’ai passé 900 entretiens d’embauche pour essayer de trouver une expérience professionnelle épanouissante, j’en ai eu quelques-unes heureusement. Fin 2016 j’ai décidé de créer ma structure Éveilleur de conscience, qui englobe toutes mes activités professionnelles, pour parler d’accessibilité auprès des entreprises et des collectivités. Et au-delà de ça, je suis le correspondant des Hauts-de-France pour l’APHPP, délégué de proximité représentant des sociétaires à la Macif, et référent de l’Inclusion en marche dans le département du Nord. » Émanation de LREM, ce mouvement s’efforce de convaincre de l’impact positif de l’action gouvernementale et présidentielle en faveur des personnes handicapées.
« J’ai 34 ans, et autant d’expérience en tant que déficient visuel. Je la mets au service de tous ceux qui le souhaitent pour amener une vision plus positive et décomplexée de la question de l’inclusion. Je suis né à Rouvroy dans le bassin minier du Pas-de-Calais, entre Hénin-Beaumont et Lens. Hénin-Beaumont est tristement connue au plan national de par la présence assumée et ancrée du Front National. J’ai été bercé d’un côté par une ville à orientation communiste, et de l’autre par le Front National. A un moment donné, je me suis dit ‘dans quel monde tu veux que tes trois enfants vivent ?’. Si on veut vraiment que les choses changent, il faut les faire bouger de l’intérieur. Je me suis vraiment engagé en politique lors du mouvement des gilets jaunes en 2018, dans l’idée de dire ‘où on en sera dans cinq à dix ans en matière d’inclusion ?’. »
Nicolas Karasiewicz voudrait bien défendre cette vision lors des élections départementales et régionales des 20 et 27 juin prochains : « J’ai déposé mes candidatures, mais à ce jour [5 mai NDLR] je n’ai pas de réponse de mon parti. Ça ne m’empêchera pas de continuer le combat, parce que je ne suis pas un carriériste en politique. Ça ne m’empêchera pas d’être militant, engagé. C’est toujours flatteur d’avoir une proposition sur une liste quelle qu’elle soit. Tel n’est pas le cas. »
10 jours après cet entretien, Nicolas Karasiewicz a pu annoncer qu’il figurait sur la liste de la majorité gouvernementale pour le Conseil Régional, en 33e position sur 75 candidats dans le Nord, et probablement non éligible. Parviendra-t-il pendant la campagne électorale à faire avancer ses idées sur la transversalité du handicap, la mobilité, le développement économique, la santé, le tourisme, la culture, le sport ? « Il y a plein de choses sur lesquelles on peut travailler, où j’aimerais bien amener ma petite brique inclusive pour dire ‘attention, tout comme pour la transition écologique qui s’installe progressivement dans le paysage de manière transversale, ayez le même cheminement vis-à-vis de l’inclusion pour ne laisser personne sur le bord de la route’. »
Savoir exister politiquement
Même s’il n’est pas élu et que sa famille politique reste minoritaire au soir du deuxième tour de l’élection au Conseil Régional le 27 juin, Nicolas Karasiewicz compte employer un autre levier : « Mon engagement associatif fait aussi que je peux discuter avec les acteurs politiques, hormis les extrêmes parce que j’en suis revenu. » Son engagement et ses convictions ont en effet évolué depuis ce qu’il déclarait quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle du 23 avril 2017 au magazine 20 minutes : déçu par les soutiens reçus par Emmanuel Macron, il se disait « convaincu que le changement, ce n’était pas ça » et annonçait qu’il voterait pour « la seule personnalité qui évoque vraiment le handicap : Marine Le Pen [candidate Front National]. Je ne suis pas d’accord sur certains sujets mais c’est la seule qui se rapproche des personnes handicapées. »
Quatre ans plus tard, il la rejette totalement et soutient la politique d’Emmanuel Macron : « Je vais juste me permettre de rectifier cet article qui continue de tourner et qui est un boulet dans ma vie politique. Au premier de l’élection présidentielle, effectivement j’ai voté Marine Le Pen parce que j’étais dans une période, une dynamique moins constructive. Je me suis réveillé le soir du débat télévisé [du 3 mai 2017] entre Macron et Le Pen en me posant la question précédente ‘où je me vois dans cinq ans, qu’est-ce que j’ai envie de laisser à mes enfants ?’ Simplement dire ‘ça va pas’ et rejeter la faute sur les autres, c’est facile. Je n’ai pas voté Marine Le Pen au second tour. » S’il s’en détourne aujourd’hui, il ne peut passer sous silence l’indifférence qu’il a vécue lors de ses premières tentatives : « Quand j’ai débuté dans l’action associative, j’ai frappé à la porte de ma collectivité dirigée par le PCF et à celles d’autres formations politiques. Il est vrai que la seule qui a montré un intérêt sur le sujet à l’époque, c’était le Front National. C’est pour cela que je me suis dit ‘il y a peut-être quelque chose à construire avec lui’. Au bout de quelques mois, j’ai compris qu’on utilisait les personnes en situation de handicap à des fins médiatico-politiques, c’est encore le cas aujourd’hui avec dans le Nord un candidat de 21 ans en situation de handicap. J’ai l’impression de me revoir quelques années en arrière, ‘tiens, celui-là on va l’utiliser, ça fait bien sur la photo et ça s’arrête là’. » Tout est dit.
Laurent Lejard, mai 2021.