La précédente ministre chargée des Personnes handicapées avait annoncé, le 23 janvier 2020, une profonde rénovation du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) en lançant sa mandature 2020-23. Il devait « assurer une meilleure représentativité des personnes en situation de handicap en cohérence avec les engagements pris par la France lors de la ratification en mars 2010 de la Convention internationale des droits des personnes handicapés (CDIPH). » Autour de la (vaste) table, 160 membres dont peu siègent encore aujourd’hui en présentiel (une vingtaine), la visioconférence étant désormais privilégiée : une solution pratique mais qui isole les membres qui n’ont pas l’occasion de se côtoyer dans d’autres instances ou réunions, tels les représentants des grandes associations nationales. Les missions du Conseil devaient être élargies : comité de suivi des suites données aux avis du Conseil dont on ne sait rien, autosaisie et « réflexion sociale et sociétale avec la mise en place d’un conseil pour les questions sémantiques, sociologiques et d’éthique » qui tarde à fournir le lexique attendu, mobilisation « en amont de la présentation des projets de loi en conseil des Ministres » restée lettre morte, élaboration « de ses propres indicateurs, pour livrer un état des lieux de la situation des personnes handicapées et de leurs familles et mesurer son évolution sur autant de sujets », laissée sans suite.
Avec les personnes handicapées ?
L’autre chantier consistait à ouvrir le Conseil sur des personnes handicapées autoreprésentantes, tel Arthur Aumoite. Tout juste trentenaire, il siège pour Handi-voice, laboratoire d’idées d’autoreprésentants : « Certains se professionnalisent, pour expliquer nos expériences. On compte 40 membres actifs engagés dans différentes commissions et travaux. C’est une bonne expérience pour faire vibrer la voix des autoreprésentants, mais à notre sens il n’y a pas assez de personnes concernées qui siègent au CNCPH. » Il le qualifie d’ailleurs de « Conseil de professionnels du handicap. » Mais qu’est-ce que peut apporter à un tel organisme une personne qui vit le handicap ? « L’expérience n’est pas automatiquement transférable, ajoute Arthur Aumoite. On ne voit pas assez d’associations avec des personnes concernées, qu’il faut faire monter en compétences, sans se limiter à leur propre vécu. L’autoreprésentation se fait en groupe, pour ne pas rester des personnes isolées. » Cette opposition de fait entre les personnes qui vivent le handicap et en tirent des enseignements, et celles qui vivent du handicap en travaillant au sein d’associations dites « représentatives » n’a jamais été débattue. Un tel débat public est pourtant indispensable pour faire évoluer la représentation des personnes handicapées dans une instance consultative comme le CNCPH : les grandes associations nationales cumulant gestion d’établissements médico-sociaux et défense de leurs adhérents estiment toujours légitimes, et préfèrent conserver leur hégémonie.
Celles-ci peuvent maîtriser l’analyse de projets de lois ou décrets complexes fréquemment transmis pour avis quelques jours avant séance. « Est-ce qu’on doit avoir un avis d’expert sur des textes complexes, relayer les échanges interministériels ? s’interroge Emmanuel Guichardaz, de Trisomie 21 France. Ça demande un investissement très important. On pourrait le concentrer sur des personnes dont c’est le métier. » Son association veut faciliter la participation de personnes handicapées intellectuelles d’ailleurs prévue par le règlement intérieur du Conseil. « On a souhaité que des personnes trisomiques puissent participer à des commissions, poursuit Emmanuel Guichardaz. On a transmis une liste au CNCPH pour qu’elles viennent avec leur accompagnateur, une action approuvée par le Conseil mais contrariée par la crise du Covid et les difficultés liées aux séances en semaine que ces personnes ne peuvent assumer avec leur accompagnant : elles n’ont pas de décharge professionnelle ni d’autorisation d’absence pour elles et leur facilitateur, ni d’indemnités couvrant leur perte de salaire. Cela pose la question des moyens dont dispose actuellement le Conseil. » Depuis sa création, le Conseil n’a aucun budget : son secrétariat est assuré par le Comité Interministériel du Handicap et seuls les frais de déplacements sont remboursés aux membres, à l’euro près sur justificatifs. Les autoreprésentants prennent donc sur leur temps de travail et siègent gratuitement alors que les représentants associatifs sont généralement des salariés permanents : participer aux réunions en tous genres fait partie de leur travail rémunéré.
Une professionnalisation sans moyens
Il apparaît toutefois que le Conseil s’est professionnalisé : ses avis sont mieux cadrés et écrits, avec moins de fautes et d’erreurs d’appréciation. « C’est déjà un rythme différent de la mandature précédente, apprécie Nicolas Églin, président de la Fédération Nationale des Associations au Service des Élèves Présentant une situation de Handicap (FNASEPH). Le président a amplifié le travail des commissions, avec des temps d’échanges les vendredis. On essaie de structurer davantage, avec plus de suivi, notamment sur la scolarisation. Sur la compensation et les ressources, un travail de grande qualité a été effectué pour étudier dans le détail des textes complexes, et en prenant en compte les textes passés. » Tout en continuant à travailler dans l’urgence, les administrations et ministères déposant tardivement les documents à examiner. « Les relations avec les administrations et les cabinets ministériels sont très variables, reprend Nicolas Églin. Il faut le temps que les cabinets se mettent en place et prennent la mesure des enjeux, ce qui crée des tensions avec certains dans la préparation de la Conférence Nationale du Handicap. » Il espère une évolution de la représentation des personnes handicapées : « On a trop de membres au Conseil, il faut le réduire. Les associations doivent faire un effort et ouvrir de l’espace de représentation. Quelle est la place au CNCPH de celles qui sont à la fois représentatives et gestionnaires ? Ce qui est compliqué, ce sont les retours de balancier ; des associations gestionnaires se sentent en difficulté sur la désinstitutionalisation alors qu’on a besoin d’intervenants pour des parcours inclusifs. Le débat est sur la table pour la prochaine mandature. »
Pourtant, il n’est pas sûr que ce débat intéresse vraiment les organisations de défense. « Nous ne sommes pas intéressés pour participer à une instance consultative, répond le Collectif Lutte et Handicaps pour l’Égalité et l’Émancipation. Le Gouvernement ne porte pas suffisamment d’intérêt au résultat de ces concertations, mais les utilise pour se justifier. » Autre organisation activiste, Handi-social pose les termes du débat : « Tant qu’on ne séparera pas clairement les associations gestionnaires des organisations de personnes handicapées, on prend le risque de s’user, considère sa présidente, Odile Maurin. Le Gouvernement se sert du CNCPH pour cautionner les reculs de nos droits. » Elle plaide pour des collèges séparés, et que les associations ne soient considérées représentatives que lorsqu’elles comptent une majorité de personnes handicapées élues aux fonctions dirigeantes par leurs pairs : « Les associations gestionnaires peuvent donner leur avis mais c’est nous qui décidons. L’autoreprésentation, ce n’est pas se représenter tout seul. Nous, on a des adhérents, on rend des comptes. » Toutefois, elle doute des bonnes intentions affichées : « On peut poser les conditions nécessaires, mais de là à ce qu’elles soient respectées… »
« Le CNCPH a été très dynamique, estime Matthieu Annereau, président fondateur de l’Association pour la Prise en compte du Handicap dans les Politiques Publiques et Privées (APHPP), avec une plus grande visibilité à l’extérieur, dont le moment fort des universités d’été très qualitatives. » Il apprécie également la diffusion des séances du Conseil sur Facebook et Twitter… où elles sont introuvables ! Ce militant aveugle aurait-il miragé ces diffusions ? « Les réunions, c’est bien parce que ça bosse, mais en fin de mandature on n’a qu’une vingtaine de participants, constate-t-il. L’enjeu, ce sont les moyens, il faut un budget présenté et voté, englobant les frais des membres, une indemnisation des vice-présidents et si on veut bien faire le travail, c’est nécessaire. » Toutefois Matthieu Annereau relève une stagnation de la représentativité des personnes handicapées au sein du Conseil : « Il ne peut qu’être majoritairement composé de personnes handicapées, et on n’a pas avancé là-dessus. Le sujet est relancé par les avis de l’Organisation des Nations-Unies qui demande de l’autoreprésentation. Les personnes handicapées doivent être présentes dans toutes les instances, que la personne soit seule ou au titre d’une association. » Parce que si le Conseil comporte un collège de personnes qualifiées, il est essentiellement composé d’experts valides. « La prochaine Conférence Nationale du Handicap comportera des choses structurantes, à nous de plaider pour que ce soit le moment de réfléchir à une meilleure participation des personnes handicapées qui n’est pas au sommaire de cette CNH. Le Président de la République aime bien surprendre par des annonces, notamment sur la participation. » Rendez-vous dans deux mois pour le vérifier.
Laurent Lejard, février 2023.