Né malvoyant en juillet 1971 du fait d’un glaucome congénital, José Beaurain est aveugle depuis une quinzaine d’années. Il explique ici comment il a trouvé ses marques et comment il effectue son travail de député. L’intégralité de cet entretien est à écouter ci-après sur YouTube.
Question : José Beaurain, vous êtes le premier député aveugle depuis le milieu du 20e siècle. À l’Assemblée Nationale, dans quelle situation vous êtes-vous retrouvé par rapport à vos déplacements et au travail parlementaire en autonomie ?
José Beaurain : Mon arrivée à l’Assemblée Nationale a d’abord été une très agréable surprise, pour moi et aussi, je pense, pour le personnel de l’Assemblée qui ne s’attendait pas à avoir quelqu’un en situation de handicap, et surtout de cécité. Sur la cécité, il y a tout un travail à faire sur la connaissance de ce handicap, avec ses forces et ses faiblesses. Effectivement, le fait de se déplacer dans l’Assemblée Nationale c’est au départ un peu effrayant puisque c’est 130.000 m² de bureaux, c’est un Palais Bourbon immense, une multitude de bureaux, de dépendances, de salles de réunion, etc., dispatchés autour de la rue de l’Université. Ça peut paraître effrayant dans un premier temps, mais j’ai des collaborateurs, comme tous les députés, et j’ai eu la chance d’en recruter deux qui se sont très vite adaptés au handicap, qui ont compris où étaient mes attentes et mes besoins, et me guident très bien là où j’ai besoin de l’être. Après, quand on parle d’autonomie à 100%, elle n’existera jamais dans un milieu comme celui-ci. L’autonomie à 100% dans son foyer c’est une chose, mais dans un milieu comme l’Assemblée nationale avec la myriade de bureaux, de couloir, etc., qu’il peut y avoir, et les mouvements perpétuels de partout à droite et à gauche, il est difficile d’envisager une autonomie totale. Quoi qu’il en soit, mes collaborateurs me permettent de me déplacer en sécurité et beaucoup plus rapidement que si je devais le faire par mes propres moyens. J’ai rencontré ici, quand je suis arrivé, beaucoup de bienveillance de la part du personnel de l’Assemblée Nationale, tout de suite à l’écoute, qui a adapté ce qu’il fallait ; c’est passé par des petites choses qui ne sont pas anodines, comme par exemple étiqueter les boutons de vote du pupitre. J’ai aussi du matériel informatique sur lequel je suis encore en train de me former puisqu’à 52 ans, je n’ai pas connu l’époque de l’informatique adaptée aux non-voyants lors de ma scolarité, puisque c’est quelque chose de très récent, réellement développé depuis les années 2000. Les seules choses qui sont difficiles pour moi, c’est par exemple, lors des séances, tout ce qui s’affiche sur les écrans, le nom de l’orateur qui va s’exprimer, le numéro des amendements discutés. Je ne peux avoir en permanence quelqu’un pour lire ces écrans.
Question : Ce qui veut dire que il n’y a pas d’alternative vocale qui vous parviendrait par une oreillette ?
José Beaurain : Si, je peux éventuellement, c’est une contrainte technique, mais dans l’absolu faisable d’être en communication par oreillette avec un collaborateur.
Question : L’Assemblée ne l’a pas fait ?
José Beaurain : Non. J’ai aussi des collègues à côté de moi, qui la plupart du temps, quand ils ne sont pas absorbés par leurs activités, m’aident et me préviennent.
Question : Vous privilégiez le braille ou la lecture vocale ?
José Beaurain : J’ai longtemps privilégié la lecture vocale, comme beaucoup de non-voyants, parce que c’est plus rapide ; un bon lecteur braille ne peut pas lire aussi vite qu’un lecteur en noir, et souvent il y a cette solution de lecture vocale, notamment sur le smartphone.
Question : Côté documents, puisqu’il y en a beaucoup, les textes d’amendements, les textes de loi, mais aussi des documents que vous recevez de commissions ou de l’extérieur, quelles difficultés rencontrez-vous ?
José Beaurain : Tout ce qui est graphique ou image, bien sûr, il faut me l’expliquer, me le décrire. Par contre, j’ai la chance depuis l’année dernière d’avoir obtenu l’achat d’une embosseuse braille, un outil très coûteux, plus de 5.000€. Mais avec mon enveloppe de dotation de matériel, j’ai pu l’acquérir pour que mes collaborateurs impriment les documents dont j’ai besoin. J’ai également commandé récemment une machine à lire, un matériel fabuleux assez compact que j’ai découvert il y a peu, qui lit n’importe quel document et même l’écriture manuscrite.
Question : L’Assemblée Nationale prépare un parcours de visite adapté aux personnes déficients visuelles. Qu’est-ce que vous en espérez pour votre quotidien, par exemple avec l’installation de bornes sonores qui vous permettraient de vous repérer ?
José Beaurain : C’est tout à fait ça. Pour moi, l’idéal serait des bornes sonores à des endroits bien précis qui puissent permettre de nous situer, de savoir où l’on se trouve, et de pouvoir mémoriser le parcours. Ce serait difficile pour quelqu’un qui ne connaît pas les lieux, et franchement je pense que des bornes ne suffiront pas à pouvoir se déplacer aisément dans le Palais Bourbon ; certaines pièces peuvent être à la diagonale de là où on se trouve, il n’est pas évident pour un non-voyant d’appréhender la géographie du lieu. Par contre, disposer de bornes activables à distance avec une télécommande comme on le fait avec les feux rouges, ça pourrait être intéressant, mais à condition que ce ne soit pas nuisible pour les autres. Elles peuvent être beaucoup plus utiles que des repères au sol qui, pour moi, dans la rue, ont très peu d’utilité à part les bandes podotactiles placées devant les endroits dangereux comme les escaliers ou les passages piétons. Mais en revanche, vous avez dû voir aux alentours des gares et des commerces ces espèces de rigoles en béton qui sont censés guider la canne blanche : ça n’a strictement aucun intérêt…
Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2023.