Conseiller municipal de Cherbourg-en-Cotentin (Manche), il est l’un des vice-présidents de sa Communauté d’agglomération, chargé de l’Égalité des Chances, Inclusion, Administration Générale et Gens du Voyage. Handicapé moteur du fait d’une maladie génétique depuis sa naissance il y a 50 ans à Cherbourg, il se déplace en fauteuil roulant motorisé, avec élévateur (lift) intégré : « J’ai des besoins d’accompagnement qui sont assez significatifs. Malgré cela, j’ai réussi à effectuer un parcours scolaire et universitaire des plus classiques, toujours en milieu ordinaire, à une époque où on ne parlait pas encore d’école inclusive. » Il n’a jamais rencontré de blocage dans sa scolarité, du fait du handicap. « J’ai eu la chance, finalement, de vivre dans un endroit de France où il fait plutôt bon vivre et où j’ai eu une offre de formation qui correspondait aussi à mes aspirations, ça m’a permis de rester sur place. » Fonctionnaire depuis 1996, il est ingénieur d’études à l’université de Caen, en charge du patrimoine immobilier du campus de la Manche et ses deux sites de Cherbourg et Saint-Lô. « J’administre l’immobilier, la logistique et la sécurité de 30.000m² de bâtiments. Je suis rentré dans l’Administration par la toute petite porte, recruté en 1996 en Contrat Emploi Solidarité pour 3 ans, j’ai passé des concours externes pour devenir d’abord secrétaire d’administration, puis accéder à la catégorie A pour diriger aujourd’hui un service de neuf personnes et un budget conséquent. »
Il s’est engagé très tôt dans la vie publique locale. « Depuis très jeune, j’ai une appétence particulière pour le sujet politique, un engagement de gaulliste social depuis très longtemps. J’ai suivi, dès ma vingtaine d’années, des campagnes politiques, ça m’intéressait beaucoup au niveau national et je suis entré dans la sphère politique locale en allant dans des réunions publiques, en essayant d’aider les candidats députés de l’époque, je suis rentré par cette petite porte là, ce qui fait qu’en quelques années j’ai été élu à Cherbourg dans l’opposition, puis à l’Agglomération qui compte plus de 180.000 habitants, comme vice-président. » Il s’est lancé en 1994 en mettant en avant ses compétences en informatique, peu répandue à l’époque, et son sens de l’organisation. « Je n’étais pas là que pour du soutien administratif, j’ai aussi travaillé mes sujets, du fond et de la forme. J’ai toujours été confortable dans cet engagement, ma famille politique, qui était le RPR et aujourd’hui Les Républicains, a porté les sujets du handicap. A peu près toutes les lois qui ont changé la donne, de 1975 à 2005, ce sont des lois qu’a porté ma famille politique. » En parallèle de cet engagement, il a aussi agi dans l’associatif jusqu’à son accession en 2020 à la vice-présidence de l’Agglo.
Obtenir des moyens
Frédérik Lequilbec agit en faveur d’un statut de l’élu handicapé : « C’est vraiment mon combat du moment, avec d’autres amis et notamment le collectif qui est porté par l’APHPP de Mathieu Annereau. On s’est retrouvés il y a un plus d’un an sur ce sujet-là avec une vision assez claire de ce qu’on veut porter dans le débat public. Aujourd’hui, les deux propositions de loi en préparation incorporent quelques éléments sur les élus en situation de handicap, mais totalement insuffisants, partiels, technico-techniques. » Elles ont été déposés à l’Assemblée Nationale le 6 février 2024, et l’autre au Sénat, adoptée en première lecture le 7 mars ; celle-ci obligerait les municipalités à aménager le poste de travail des élus en fonction de leur handicap « dans les mêmes conditions que celles prévues [pour] les agents publics. »
« On a pris le sujet un peu sur le fil, parce que tout ça avance à un rythme qui est celui du Parlement et qu’on ne maîtrise pas nous-mêmes parfaitement. On a réussi déjà, sur le statut de l’élu, à faire porter un amendement par le sénateur Philippe Bas, et on a tenté d’en faire porter d’autres, notamment sur les frais spécifiques de participation à des réunions de travail autres que celles qui sont statutaires, ils ont été retoqués. On sera préparés pour l’examen du texte déposé à l’Assemblée, on travaille déjà avec la députée Violette Spillebout. On sait que, visiblement, le Gouvernement va fusionner ces deux propositions de loi pour porter un projet de loi, donc c’est un sujet assez consensuel. » Outre la compensation des handicaps des élus, Frédérik Lequilbec veut également travailler avec le collectif sur l’amont, c’est-à-dire l’accompagnement des militants candidats aux élections. « Aujourd’hui, lorsqu’on est candidat, aucun moyen de compensation n’est prévu. Si vous n’êtes pas trop handicapé, vous vous en sortez à peu près bien ; si vous avez besoin de beaucoup d’aide, il faut puiser dans vos ressources personnelles pour la financer, elle n’est pas prise en compte dans le financement légal des campagnes électorales. L’idée, c’est de déplafonner les dépenses de campagne lorsqu’il s’agit de compenser les besoins d’un candidat en situation de handicap afin que ça n’entre pas dans le compte de campagne du candidat, que ça n’oblige pas à choisir entre payer ses affiches de campagne ou son auxiliaire de vie. Il s’agirait aussi de déplafonner les dépenses liées à la mise en accessibilité des campagnes électorales, par exemple les frais d’adaptation d’un document en facile à lire et comprendre (FALC). »
L’autre axe de ce combat consiste à dépolitiser l’aide aux élus. « Qu’on soit élu dans la majorité ou l’opposition, qu’on soit dans un exécutif ou non, il n’y a pas de raison qu’un élu qui participe à une réunion publique ne puisse pas être accompagné s’il a besoin d’une traduction en langue des signes ou s’il est aveugle. Le débat public ne se limite pas à un conseil municipal ou une réunion de commission, il y a plein d’autres choses : des réunions préparatoires, ou avec des organismes extérieurs, et tout ça n’est pas pris en compte. » Le financement ne reposerait pas sur la Prestation de Compensation du Handicap : « D’un point de vue purement éthique et pour la protection de son indépendance, on ne peut pas se voir attribuer une compensation qui serait décidée par un organe, en l’occurrence une MDPH qui elle-même dépend d’un organe politique, le Conseil Départemental. Vous imaginez bien que, si vous êtes élu d’opposition au département, on pourra trouver tous les moyens techniques pour ne pas vous accorder des heures. Il faut que le financement entre dans le cadre général de la collectivité. On paye bien les voitures et chauffeurs sur les frais généraux. »
Ce qui pourrait fonctionner avec les villes moyennes et importantes, les intercommunalités, départements et régions, mais pas pour les petites communes : « On essaie de proposer la création d’un fonds national qui, pour le coup, pourrait être le FIPHFP [Fonds pour l’Insertion des Personnes Handicapées dans la Fonction publique]. Il finance déjà les compensations pour les fonctionnaires handicapés. Il y aurait une logique puisque, finalement, un élu a un statut assez proche de celui des fonctions publiques. » Mais pourquoi la participation des citoyens handicapés à la vie démocratique devrait-elle reposer sur le fonds dédié à l’emploi public ? « L’idée, c’est d’utiliser cet outil pour éviter de créer un bidule administratif qui va consommer beaucoup de temps et d’énergie, qu’il faudra administrer. Si vous prenez les fiches techniques qui permettent d’accompagner un fonctionnaire, ce sont globalement les mêmes pour les élus. Il suffirait que l’État dote le FIPHFP d’une enveloppe spéciale. » Si les parlementaires rencontrés sont intéressés par l’idée, rien n’est encore fait, et faciliter l’accès aux citoyens handicapés à l’exercice démocratique reste à construire.
Laurent Lejard, avril 2024.