Comme tous les 5 ans, l’élection des députés européens mobilise peu les électeurs qui perçoivent l’Union Européenne comme une technocratie ultralibérale sensible aux lobbys et déconnectée des réalités quotidiennes. Pourtant, les décisions prises par la Commission Européenne, organe non élu et aucunement démocratique, pèsent sur ce quotidien, de même que les Directives et Règlements adoptés par le Parlement, qui concernent directement ou indirectement les habitants handicapés. Pourtant, les partis politiques français sont plutôt secs en matière de propositions concernant ces habitants, comme en témoignent les deux soirées Handébat (à voir en replay).
Organisées à Sciences Po Paris les 28 et 29 mai derniers devant un public clairsemé et 200 internautes à distance par apiDV, 100% Handinamique et l’APHPP, ces soirées-débats ont permis à 7 représentants des listes pouvant potentiellement obtenir des élus, sur lesquelles les électeurs se prononceront le 9 juin, d’exposer leur conception du handicap en Europe et formuler des propositions en la matière, notamment en direction des étudiants. Au final, ressort essentiellement un constat de carence, dont l’absence de candidat handicapé placé en position éligible est une conséquence logique.
L’extrême-droite zappe
L’une des invitées, la liste Reconquête a décliné, le parti d’Eric Zemmour estimant que le handicap est une affaire nationale plutôt qu’européenne. Le Rassemblement National est sur la même ligne politique, mais a toutefois envoyé la porte-parole de son groupe parlementaire à l’Assemblée Nationale, Laure Lavalette, seule participante directement concernée par sa fille née trisomique il y a 19 ans. « Je pense que la politique sociale doit rester une prérogative des États, affirme la députée. L’accessibilité nationale est mauvaise, et avant même de pouvoir étudier a l’étranger, il faudrait répertorier les facs handi-friendly. C’est l’État qui améliore l’action vers les personnes handicapées, je ne pense pas que ce soit l’Europe. » Et d’invoquer les disparités entre les départements français pour s’interroger sur la capacité de décider ensemble des 27 États membres de l’Union Européenne. « Les enfants handicapés devraient avoir les mêmes choix que les valides, leur donner une carte européenne du handicap ne changera pas leur quotidien. » Est-ce pour cela que les jeunes handicapés sont absents du programme du RN pour cette élection ?
Le ventre mou de la droite, des écolos et macronistes
Il n’est pas courant que Les Verts, Renaissance et Les Républicains se retrouvent dans le même panier, celui de la piètre connaissance et du discours creux. Cette prouesse a été réussie par l’écolo candidat éligible Aboulaye Diarra venu ici parce qu’il a été président d’une mutuelle étudiante, comme si les handicaps étaient essentiellement des questions de santé. S’il estime nécessaire « d’harmoniser le droit et de faire de la mobilité une réalité pour les jeunes handicapés » et « qu’on a besoin de sanctions et d’investissements » pour l’accessibilité, le candidat se plante en confondant les compétences respectives de l’État, des Régions et de l’UE dans ce domaine. Seule proposition concrète au sein d’un discours assez vague et creux, l’instauration d’un défenseur européen des droits.
Le parti macroniste Renaissance a délégué un enseignant 60e de liste, Loic Guilpain : « On a réussi en 7 mois à élaborer et voter la carte européenne du handicap », clame-t-il, en oubliant que la France de François Hollande avait refusé en 2017 de participer à l’expérimentation de cette carte, décision maintenue par son successeur Emmanuel Macron et son gouvernement d’alors. Le reste est un vaste catalogue confondant les compétences des États et de l’UE : accélérer l’accessibilité des logements dans toute l’Europe, étendre le Pass rail jeunes (que la France lance pour cet été en excluant les TGV et l’Île-de-France). Et Loic Guilpain navigue à vue sur l’accessibilité numérique et celle des services européens ferroviaires, déjà régies par une Directive et un Règlement. Petite perle : « J’imagine que les chiens accompagnants sont capables de prendre l’avion » lâche le candidat qui ne connaît pas les règles d’indemnisation des voyageurs handicapés.
Du côté de la droite, c’est le candidat en position non éligible Aurélien Caron qui a exposé le programme des Républicains. « La politique handicap n’est pas la première qui vient quand on parle Europe, mais on peut faire des choses, dont Erasmus. On veut que le handicap soit pris en compte dans toute la politique européenne. » Sauf que son parti demande moins de normes, tout en défendant celles qui sont utiles, dont l’accessibilité. Mais ses propos ne se retrouvent pas dans le programme de son parti, vide sur le handicap. On relève qu’il se prononce en faveur d’un réarmement de l’Europe comportant des stages inclusifs pour les ressortissants handicapés, et pour un projet d’observatoire des besoins liés aux handicaps au niveau européen. Et il renvoie au niveau national l’emploi, la discrimination, l’accessibilité des livres et de la culture.
Des gauches plus pertinentes
8e sur la liste menée par le Parti Communiste Français, la militante paraplégique Fatima Khallouk intervenait dans un meeting : c’est Hélène Bidart, Conseillère de Paris, qui l’a remplacée après avoir bien préparé le sujet. « L’Union Européenne est une source importante de droits pour les personnes handicapées, a-t-elle affirmé, mais sous l’angle du marché. » Est-ce pour cela que la transposition de la Directive Européenne sur l’accessibilité numérique est incomplète en France ? Autre critique, la fragmentation des transports due à la mise en concurrence qui pèse négativement sur leur accessibilité. Côté droits, une proposition attrayante : « Nous portons la clause de la personne en situation de handicap la plus favorisée », concept calqué sur celui développé par les féministes pour que la législation européenne s’aligne par le haut en étendant aux pays membres les dispositions nationales les plus favorables. Un peu de politique au sujet de l’école inclusive : « C’est une problématique grave sur fond de privatisation de l’éducation, avec ceux qui pourront payer et ceux qui ne pourront pas. Des partis de gauche ont voté l’austérité au Parlement Européen, mais l’austérité n’est pas compatible avec l’inclusion. » Le PCF demande que les aides européennes soient conditionnées à l’emploi de travailleurs handicapés, et approuve la proposition de créer une agence européenne du handicap. Toutefois, les sondages ne lui accordent aucun député européen.
La présidente des Jeunes socialistes, Emma Rafowicz, s’est exprimée pour la liste Place Publique. Elle déplore l’invisibilisation des personnes handicapées, et voudrait créer une commission spécifique et un commissaire européen en charge. Côté accessibilité elle affirme : « nous devons oser parler de sanctions » tout en oubliant que son parti a voté contre la loi française du 11 février 2005, puis en faveur de son dépeçage par ordonnance neuf ans plus tard. On comprend mieux pourquoi elle s’interroge : « Comment on arrive à inclure, je suis très preneuse de différents exemples. » Enchaînant les réponses nationales, elle formule peu d’idées en matière européenne, évoquant essentiellement une Europe féministe et la clause de l’Européenne la plus favorisée. Europe qui ne servirait qu’à financer l’accès à la culture et au livre en mobilisant « les fonds européens colossaux. » Quant aux transports, elle ignore visiblement que l’harmonisation des prestations d’assistance est garantie sur le territoire de l’UE par un Règlement puisqu’elle propose de créer un service européen d’aide en gare et aéroports.
La France Insoumise a envoyé la députée européenne sortante Leila Chaibi, candidate à sa réélection et qui a à son actif la Directive réglementant l’emploi des livreurs des plates-formes de type Uber/Deliveroo. « Le handicap est un sujet social, a-t-elle clamé. On conçoit le handicap sous l’angle de l’égalité des droits, pour parvenir au droit commun. L’Union Européenne devrait tirer les droits vers le haut. » Elle revendique un droit à la mobilité pour une vie digne, et estime que la future carte européenne du handicap peut permettre la mobilité, pour les seuls séjours de moins de 3 mois ; elle ne donnera en effet aucun droit à l’installation et aux droits sociaux nationaux. Leila Chaibi est la seule à formuler des propositions en matière de citoyenneté européenne : « On a travaillé sur la loi électorale, il y a 27 façons de voter et systèmes différents. J’ai agi pour améliorer l’accessibilité du vote. » Du côté des violences, notamment sexuelles, et des discriminations, elle rappelle qu’une Directive est depuis 10 ans bloquée par le Conseil ; cet organe est l’un des deux de l’exécutif européen, représentant les États et fort peu démocrate. LFI prône la de-médicalisation du handicap : « Nous sommes très critiques de l’institutionnalisation, l’école doit être inclusive. » Et c’est l’Italie que Leila Chaibi cite en exemple d’inclusion scolaire, prônant une « harmonisation par le haut. »
Qu’en pensent les organisateurs ?
Interrogés à chaud dès la fin de la seconde soirée, Pierre Marragou (président d’apiDV), Thomas Fauvel (président de 100% Handinamique) et Vincent Julé (vice-président d’APHPP) restaient sur leur faim. « Le handicap, et particulièrement la jeunesse en situation de handicap, sont des sujets qui ne sont pas abordés dans les campagnes électorales, relève Thomas Fauvel. Notre objectif était de mettre au coeur de la campagne électorale le handicap et la jeunesse, on peut considérer qu’on a coché cette case. »
Si Pierre Marragou est satisfait par la présence de 7 représentants sur les 8 listes conviées parce qu’elles pourraient envoyer des députés au Parlement Européen, il déplore l’absence de candidats handicapés en position éligible : « La France compte 68 millions d’habitants, 12 millions en situation de handicap à des degrés divers, et sur ces listes aucun candidat en situation de handicap. Je pense que la méconnaissance plus ou moins forte constatée pendant ces soirées vient de là. Il n’y a pas suffisamment de diversité sur ces listes pour qu’elles soient correctement sensibilisées aux handicaps et proposent des idées pertinentes lors de l’élection européenne. » Vincent Julé rappelle que le Parlement Européen sortant comptait 4 députés à handicap visible ou déclaré, sur 705 : « On avait zéro parlementaire européen Français en situation de handicap. Force est de constater qu’on aura zéro parlementaire européen Français en situation de handicap pour le prochain mandat. Si on n’a pas des gens concernés par le sujet, on a la sensation que ça n’intéresse pas. » Il relève le peu de propos sur le handicap au niveau européen : « Beaucoup de sujets ont été rapportés au champ national, à la politique franco-française. » Et Pierre Marragou de conclure : « On n’a pas entendu parler des freins aux libertés fondamentales de tous les citoyens européens, pour étudier, travailler librement dans un autre pays. Aujourd’hui quand en est en situation de handicap on ne peut pas le faire librement pour des raisons administratives, financières, et sur ces questions-là, on n’a pas eu de réponses rassurantes, ni d’engagements forts. »
Laurent Lejard, mai 2024.