Elle est née albinos et très malvoyante, comme son frère Emmanuel. Tous deux ont été éduqués en milieu ordinaire, à l’école traditionnelle. Leurs parents, alors enseignants spécialisés dans un établissement pour handicapés mentaux, ont voulu que leur progéniture évolue avec ses propres moyens et méthodes dans un environnement social et urbain qui n’est pas pensé pour les malvoyants. Ce rapport quotidien entre une amblyope et la société au sens le plus large du terme est la substance du récit biographique de Cy Jung « Tu vois ce que je veux dire », publié chez L’Harmattan.
« Parler de moi passe par l’écriture, annonce tout de go Cy Jung; une partie de ma vie se trouve dans l’amblyopie ». Dans son livre, elle en fait une description technique, pratique, quotidienne, multipliant les exemples parfois burlesques, parfois tendres ou tristes. Elle narre sa relation étroite avec cette déficience impalpable pour les autres et même pour son frère, dont la capacité visuelle est différente, spécifique. « Je suis auteure, je n’ai pas été victime d’ostracisme, je suis une privilégiée. On ne stigmatise pas ma déficience visuelle ». Une déficience qui lui joue quand même de mauvais tours dans ses relations sociales, quand elle ne salue pas certaines connaissances, qui lui en tiennent rigueur : « Les gens prennent ombrage qu’on ne les reconnaisse pas, surtout quand ils sont dans un lieu ‘branché »…
« Je suis physiquement lesbienne, albinos et malvoyante », ainsi se définit Cy Jung. « Est- ce qu’on le dit ou pas ? J’ai plus de problèmes à dire que je suis malvoyante, ce tabou est plus difficile à lever que celui de l’homosexualité. La malvoyance est un tabou social. Je suis handicapée, mon amblyopie est invalidante : comme dirait ma maman, ‘je vois pas clair ». Cy Jung, pourtant très investie dans le mouvement associatif, ne milite pas avec les personnes handicapées sur leurs problèmes même si elle se dit prête à défiler avec les homosexuels handicapés lors de la Marche des Fiertés lesbienne- gay- bi- transexuel (ex Gay Pride) et reconnaît que l’homosexualité est particulièrement difficile à vivre pour les personnes handicapées. Militante engagée, Cy Jung est ainsi devenue l’une des figures du mouvement lesbien « valide ».
Cy Jung est l’auteure de quatre romans, de nouvelles érotiques, de chroniques Internet. Elle écrit sur le désir féminin en général et lesbien en particulier : « Mon travail est l’expression du désir; dans le Robert, il y a douze synonymes pour ‘pénis’ et aucun pour ‘clitoris’. Je veux suppléer ce lexique, écrire le désir dans un contexte pauvre, phallo- centré, hétéro- normé. Il y a plus de vocabulaire pour l’homme que pour la femme ». Militante féministe, Cy Jung est membre des Chiennes de Garde, mouvement dont les prises de position suscitent parfois controverse et polémique. Elle ne vit pas de sa plume, mais vous ne saurez rien de sa vie ou de son travail : elle veut les préserver, les conserver dans la sphère privée. Ce besoin exacerbé de protection, Cy Jung le subit ainsi qu’elle le relate dans sa conversation avec Sylvie L. (page 151). Quelle femme se cache donc dans la carapace de Cy Jung ?
Laurent Lejard, janvier 2004
Cy Jung présente son travail littéraire sur son site personnel.