Vivre dans la région marseillaise lorsque l’on est lourdement handicapé est chose plus malaisée qu’ailleurs, et c’est probablement pour cela que se sont développées dans la seconde ville de France des actions remarquables conduites par des militants d’exception. L’un d’entre eux est une femme, Yvette Boyer, qui racontait ici son parcours il y a près de six ans. Actuellement, elle s’investit dans la reconnaissance d’un droit effectif à la vie affective et sexuelle de personnes lourdement handicapées, une action portée par l’association qu’elle préside, Choisir sa vie.
« En 2006, on avait réalisé un questionnaire pour demander aux personnes handicapées quels étaient leurs besoins en citant le bricolage, la coiffure, l’esthétique, et en fin de liste, la sexualité. On l’a distribué lors du forum annuel Marseille Handicap, et on s’est rendu compte que c’est la sexualité qui revenait le plus dans les réponses. Même encore aujourd’hui, les parents, les professionnels nous incitent à nous battre pour la reconnaissance de la sexualité des personnes lourdement handicapées. Des mères nous expliquent qu’elles sont contraintes de masturber leur enfant, elles disent ce n’est pas leur rôle, leur place dans la famille. Face à l’agressivité de personnes lourdement handicapées privées de toute sexualité, les parents, les professionnels sont démunis. Il n’y a pas de rencontres possibles avec des prostitué(e)s ou autres travailleurs du sexe. Et ce ne sont pas les prostitué(e)s que recherchent les personnes handicapées, mais des massages sensuels, des caresses, avec un dialogue. Simplement un corps contre corps, pour connaître, ressentir des sensations. Dans le rapport au corps de la personne handicapée, le côté médical prend le dessus. On n’a pas de caresse, de toucher sensuel, alors qu’on en a besoin. »
« Alors on a travaillé avec Charlie Valenza, de l’association aubagnaise Boulegan, on a organisé des réunions, mais ça n’a pas avancé. On a eu connaissance de l’organisation à Strasbourg en avril 2007 d’un colloque sur la vie affective et sexuelle, on y est allé. Les débats nous ont intéressé, et nous ont apporté plus de motivation. A Marseille, on travaille avec l’association Handitoit Provence, dont un membre nous a présenté une esthéticienne qui fait des massages; elle était intéressée par le sujet. On l’a rencontrée, elle a découvert l’ampleur du besoin de sexualité des personnes lourdement handicapées. Elle m’a proposé un premier massage sensuel, puis un second avec un homme, parce que c’était ma préférence… Mon corps revivait, de la tête aux pieds, tous mes sens se réveillaient, j’oubliais mon handicap, j’avais envie de marcher, de courir ! Quand on arrive à avoir des caresses, un corps à corps, on se sent une vraie femme… »
Yvette Boyer a vécu en couple jusqu’à ces dernières années; elle a eu un enfant, qu’elle a élevé : « Pourquoi j’ai voulu avoir des rapports sexuels, un enfant ? Pour être une vraie femme ! Je demandais à mon compagnon si faire l’amour avec moi lui donnait les mêmes sensations qu’avec d’autres femmes, moi, j’ai toute ma sensibilité : il m’avait répondu que j’étais folle, qu’il n’y avait pas de différence… »
Elle évoque également l’expérience du massage sensuel faite par une autre femme infirme motrice cérébrale privée de la parole : « Elle en est revenue radieuse, émerveillée. Beaucoup de femmes handicapées ressentent ce besoin de sensualité, mais elles n’osent pas l’exprimer. Leur manque de sexualité est énorme. Chaque fois qu’elles ont des petites aventures, elles sont plus sociables, heureuses, souriantes. »
Et Yvette Boyer leur fait confiance, comme elle fait confiance à des aidants sexuels informés et formés : « Chacun voit ce qu’il fait, et c’est une relation entre deux personnes adultes qui savent ce qu’elles veulent. C’est une complicité, chacun est libre d’accepter, de refuser. Cela, la plupart des gens ne le comprennent pas, ils pensent tout de suite à l’acte sexuel. J’ai eu une vie affective et sexuelle, mais en expérimentant le massage sensuel, je voulais ressentir. Et je me suis dit que j’en aurai besoin plus tard. Je suis une femme. Et je me bats pour les autres. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2011.