A bientôt 50 ans, Béatrice Idiard-Chamois est un cas : une boule d’énergie à la bonne humeur et au rire éclatant au service de la plus noble mission humaine, aider à faire naitre des bébés; mais pas n’importe lesquels, ceux qu’ont voulu des couples dont au moins l’un des membres est handicapé moteur ou sensoriel. Elle les reçoit à Paris, à l’Institut Mutualiste Montsouris pour une consultation Parentalité Handicap moteur et sensoriel, et travaille également au sein du Service de guidance périnatale et parentale des personnes en situation de handicap (SAPPH) de la Fondation Hospitalière Sainte-Marie. Les handicaps, elle les connaît bien, et pas seulement parce qu’elle vit avec : atteinte d’une maladie génétique, le syndrome de Marfan, elle est née très malvoyante et se déplace en fauteuil roulant depuis un suivi médical erroné qui a généré en 1999 un infarctus médullaire.
Malgré sa maladie, elle a voulu avoir un enfant, et s’est confrontée aux médecins pour lesquels le syndrome de Marfan contre-indiquait une maternité : « Ç’a été un petit peu compliqué : un affrontement avec les médecins, une totale opposition pendant toute la grossesse. Ma fille va parfaitement bien, elle a 21 ans… » Pour elle, les médecins ont eu peur : « La peur de l’autre, c’est hyper important. Quand il y a une singularité, les médecins se protègent et voient la maladie ou le handicap, ils ne voient pas la personne. » En dépit de ces désagréments, Béatrice Idiard-Chamois travaille aujourd’hui à leur contact sans être des leurs : « Les études de médecine, ça m’apparaissait trop long, compliqué, lourd pour moi et ma fatigabilité. Sage-femme, ça m’allait bien. Mon choix de métier a été totalement paradoxal : au départ, vers 17-18 ans, je voulais être militaire, météorologiste dans la marine ! On choisit une profession parce qu’on ne se connaît pas soi-même; il est très important de faire son chemin, à l’époque je n’étais pas prête à m’occuper de personnes handicapées, alors que j’en étais moi-même une. »
Ce cheminement l’a également conduite à créer une consultation pour les futurs parents handicapés: « Je ne savais pas où on allait. Ce sont les patientes qui sont venues, bien avant les médias. » Depuis la création en 2006 de cette consultation spécialisée, Béatrice Idiard-Chamois a reçu plus de 300 couples: « Leur désir d’enfant est davantage mûri, assumé. Le suivi est plus personnalisé, englobant, contactant. Il y a très peu d’abandon d’une femme handicapée pendant sa grossesse, je n’ai pas constaté d’écart significatif par rapport aux couples de personnes valides. Et la prise en charge anticipe sur l’après, le retour à la maison. Ce qui marche, c’est une alchimie. »
Une action encore unique en France, qui a suscité l’intérêt des médias: « C’est cela qui fait qu’on soulève une montagne, parce qu’on a bougé une pierre. Ça a été bénéfique, c’est bien d’en parler. Le sujet est traité sans spectaculaire, je me suis toujours refusée à travailler sur des émissions à sensations. Au préalable, je rencontre longuement les journalistes pour apprécier leur intérêt et mettre des limites. »
Béatrice Idiard-Chamois ne connais pas d’équivalent en régions. À Strasbourg, l’hôpital Saint-Vincent de Paul travaille actuellement avec l’Association des Paralysés de France pour former ses personnels. Le Centre Hospitalier Universitaire de Nantes s’y intéresse également.
« On peut trouver de bons professionnels, oui et non, estime-t-elle. Récemment dans un colloque, un Professeur de médecine de Bordeaux a évoqué les lacunes en parcours de soins. Pour moi, c’est la prise en charge de toute la personne, du bagage qu’elle traîne, alors que le professeur parlait de handicap lourd, ce que je ne veux pas mettre en avant. Moi je considère la personne. On peut être très bien pris en charge techniquement, mais sans la dimension personnelle. »
« Pour pouvoir accompagner, il faut savoir accueillir la personne dans sa totalité, pas seulement sa pathologie. Pour une même pathologie, chacun réagit différemment. Alors que beaucoup de médecins ne voient qu’un utérus et un bébé. Quand on raisonne comme ça, la personne pose des questions, fait des reproches, souvent on lui répond en l’envoyant chez le psy ou l’assistante sociale. »
Béatrice Idiard-Chamois se retrouve toutefois dans la position particulière d’un soignant handicapé qui traite des patientes handicapées : « Il faut des personnes ‘in-gérables’ pour changer les mentalités et bouger les choses. Je suis très bien dans ma verticalité, mon intégrité d’être. Parfois des patientes me posent des questions sur ma pathologie, je leur réponds. Mais pas sur le ton ‘je sais ce que tu vis’. J’ai eu des difficultés avec des patientes, parfois refusé de soigner. Quand je ne sens pas la personne, je l’adresse à d’autres. »
Et elle porte un regard lucide sur sa position au sein du monde médical : « Je suis regardée parfois comme une extraterrestre ! D’abord parce que je ne suis pas encore morte, et que je déploie une forte énergie, ensuite parce que je ne crois pas dans la tutelle publique et les politiques. Ils n’ont aucun rapport humain, gèrent leur ego. Que ce soit Roselyne Bachelot, Marie-Arlette Carlotti, Ségolène Neuville. Les grosses associations sont tenues par les politiques, elles ne sont pas indépendantes. Ça ne changera pas d’en haut, mais d’en bas, par le terrain. Les lois ont été mal appliquées. On est des cas, des handicaps. Dans les Maisons Départementales des Personnes handicapées on est tronçonnés en formalités. » Et finalement, Béatrice Idiard-Chamois affirme sa présence : « Je suis intégrée parce que je suis là ! »
Propos recueillis par Laurent Lejard, octobre 2014.