Laura Hurt était une créatrice multidisciplinaire quand la malvoyance a commencé à l’affecter. Son parcours universitaire et artistique l’avait conduit au conservatoire de Nice ou elle a appris l’art dramatique, le chant lyrique et jazz, la danse contemporaine, et qui l’a diplômée en 2005. Puis elle a approfondi avec des études de théâtre à la Sorbonne à Paris. Elle a travaillé comme metteur en scène au contact de comédiens, dont des personnes handicapées, montant des créations contemporaines mêlant arts plastiques, théâtre, danse et musiques. Dans cette période, elle a connu des problèmes de vision, et trois années d’errance médicale pour parvenir en 2011 au diagnostic : kératocône de la cornée entrainant une lente et irréversible déformation et une cécité progressive.
« J’ai été suivie par un centre pour déficients visuels pendant deux ans puis j’ai repris des études en vue d’un doctorat. Heureusement que pendant cette période j’étais aidée par mon mari ! J’ai aussi repris mon art, en expérimentant, en mettant en scène tout en voyant mal. » Elle a sculpté, peint, multiplié les savoir-faire pendant l’errance médicale, comme une préparation de l’après diagnostic, l’exploration tous les possibles pour projeter son travail créatif dans son avenir d’artiste malvoyante puis probablement, aveugle. Elle a réalisé des tableaux et oeuvres tactiles présentés lors d’expositions ouvertes à tous les publics, à Nice. Récemment encore, elle exposait dans une galerie niçoise. Sa malvoyance, elle la montre dans ses créations vidéos, images au trait, fort contraste noir et blanc, contours incomplets des formes, la vision résiduelle de Laura Hurt…
Au début de sa malvoyance, elle se déplaçait avec une canne blanche, puis elle a obtenu un chien-guide en 2015, une libération : « L’arrivée du chien guide, ça a été un déclic ! » Avec l’autonomie procurée par Ice Tea, son guide à quatre pattes, elle a multiplié ses créations, donnant des conférences sur l’art accessible à tous qui est également le sujet de la thèse de doctorat dont elle achève la deuxième année de recherche. En parallèle, elle élabore un spectacle d’accessibilité universelle, mêlant texte, théâtre, danse, arts plastiques, multiforme, tactile, au plus près des spectateurs. Pour cela, elle adapte la vie d’Helen Keller dont elle a lu l’autobiographie pendant son errance médicale.
Mais tout n’est pas si simple depuis l’entrée de Laura Hurt en malvoyance : son statut d’artiste n’est plus le même. « Cela fait quelques années que je collabore avec la ville de Nice, j’ai eu accès à de belles salles. Mais depuis mon handicap, j’ai énormément de mal à être rémunérée. C’est un gros coup de gueule ! Quand je demande à âtre rémunérée pour mon travail, on me dit que ce n’est pas possible ! » Pourtant, ses créations sont annoncées dans la presse et l’affichage municipal, elle était payée tant qu’elle était une artiste professionnelle valide, mais plus depuis qu’elle est artiste professionnelle malvoyante. « On me dit ‘on aime beaucoup ce que vous faites’. Mon travail est tout à fait reconnu, j’ai des critiques très positives, mais les institutions ne suivent pas. J’ai même entendu quelqu’un dire qu’une personne handicapée ne peut pas être diplômée ! C’est tout un travail à faire sur le handicap ». Une discrimination qu’elle explique ainsi : « La différence, c’est que le créateur est handicapé et fait jouer des valides. Alors que le contraire est admis, quand Madeleine Louarn ou Pippo Delbono font jouer des comédiens handicapés. »
Créatrice multidisciplinaire, Laura Hurt ne se définit pas comme féministe malgré un look assez particulier. « Je ne fais pas du spectacle féministe, mais du ressort de la force vitale, ni masculine, ni féminine. Je n’ai pas une ultra-féminité, plutôt un mix. Ce n’est pas une question qui me parle, qui m’intéresse. L’important, c’est l’humain. On peut être différent, mais pas par le sexe. » Parmi ses projets, Laura Hurt présentera « Réveillons la censure » en septembre prochain à Nice, spectacle, album, installations plastiques, photos, conférences. « Le but est de montrer les corps différents même s’ils gênent; quelque chose d’assez fort ». Et elle poursuivra une thèse universitaire qui devrait l’occuper encore deux ou trois ans, une recherche alimentée par la création : « Le chercheur est aussi un artiste. Tout le travail pratique alimente le travail créatif. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2017.