Deux jours après les plus importantes manifestations de femmes pour leurs droits que la France ait connues, la conclusion, le 25 novembre dernier, par le Premier ministre Edouard Philippe, du Grenelle des violences conjugales est loin d’avoir suscité l’enthousiasme. « Une déception aussi immense que les attentes » déplorait NousToutes. « Tout ça pour ça ! », clamaient Les Effronté.es, « Le Gouvernement passe à coté de l’urgence de la situation » soulignait Osez le féminisme qui pointait « des mesures déjà existantes mais pas appliquées » et d’autres dispositions « fortes sans budget« . Si ces mouvements féministes réclament une importante augmentation du budget de l’Etat consacré à la lutte contre toutes les violences faites aux femmes, ils déplorent que la plupart des mesures annoncées existent déjà ou soient en cours de déploiement, sans réels moyens supplémentaires.
Et si la situation des femmes handicapées a intégré cette concertation nationale de trois mois, c’était dans ce cadre contraint : « Dès qu’on arrivait dans les groupes de travail, on nous disait ‘il n’y a pas d’argent, confirme Claire Desaint, coprésidente de l’association de défense des femmes handicapées Femmes pour le Dire Femmes pour Agir (FDFA). Sophie Cluzel [secrétaire d’Etat aux personnes handicapées] nous l’a également dit. » Il n’était donc pas question de traiter les dépendances spécifiques du conjoint handicapé dans le couple, quand l’un perçoit ou pas une allocation et que l’autre travaille, ou quand l’un est l’aidant de l’autre. Des situations potentiellement génératrices de violences entre conjoints (ou assimilés), explique le Collectif Lutte et Handicaps pour l’Egalité et l’Emancipation (CLHEE) qui n’était pas convié à la concertation : « Elles tiennent à la grande dépendance des femmes handicapées, vis-à-vis de leur conjoint tout d’abord – dépendance économique lorsque celui-ci perçoit des revenus dont dépend le montant de l’Allocation Adulte Handicapé de la femme, dépendance physique lorsqu’il est un aidant familial – qui rend très difficile la séparation en cas de violences conjugales. Cette dépendance est aussi une dépendance organisée dans le cas des femmes et des jeunes filles handicapées placées en établissements. Mises à l’écart de la société et soumises aux règlements internes de ces établissements, elles sont privées des possibilités de rencontres extérieures ainsi que du droit de mener leur vie affective, sexuelle et reproductive comme elles l’entendent, ce qui les rend plus vulnérables aux violences. Elles ont en outre peu accès à l’information et à la prévention en matière de sexualité ou même aux soins gynécologiques. » Tous sujets éludés des mesures gouvernementales issues du Grenelle.
Pourtant, la phase de concertation a satisfait Claire Desaint : « Les femmes handicapées – associations, directions publiques – ont été très présentes lors des réflexions pour le Grenelle de lutte contre les violences conjugales au moyen d’une approche transversale avec une représentante des femmes handicapées dans tous les groupes et d’un groupe spécifique créé pour traiter des sujets particuliers [en] particulier la vie affective et sexuelle et les droits sexuels et reproductifs. » Elle relève que « pour la première fois les femmes handicapées sont ainsi considérées dans des politiques publiques, dès le début de la concertation, et dans une approche transversale ne les réduisant pas à leur handicap mais les incluant dans tous les domaines de la vie sociale : éducation, santé, justice, logement, économie, emploi, etc. » Le groupe Handicap a formulé 12 propositions dont 3 ont été retenues par le Gouvernement, et c’est là que le bât blesse : création dans chaque région d’un centre ressources pour accompagner les femmes en situation de handicap dans leur vie intime et sexuelle et leur parentalité, rappeler à l’ensemble des établissements et services médico-sociaux la nécessité du respect de l’intimité et des droits sexuels et reproductifs des femmes accompagnées, lancer une formation en ligne certifiante pour faire monter en compétence massivement les différents professionnels qui interviennent notamment dans les établissements et services médico-sociaux. Egalement retenues par le Gouvernement, plusieurs propositions d’autres groupes de travail impliquent les femmes handicapées : culture de prévention et de sensibilisation auprès des élèves, mise en accessibilité du numéro 3919 Violences Femmes Info au fonctionnement étendu 24h/24, information adaptée des victimes de violences par les policiers et gendarmes.
« La dépendance économique ne semble pas bien comprise concernant la situation des personnes en situation de handicap et notamment des bénéficiaires de l’AAH, estime Marie Rabatel, présidente de l’Association francophone de femmes autistes (AFFA) qui a participé au groupe de travail Handicap. Elle est une des composantes des violences conjugales et familiales, s’ajoutant à la dépendance liée aux conséquences du handicap, Ce mix est idéal pour favoriser une soumission de la personne en situation de handicap. » Elle souligne également que la Prestation de Compensation du Handicap aide humaine est fréquemment attribuée au conjoint dédommagé 3,90€ de l’heure alors qu’un aidant professionnel coûte trois à quatre fois plus aux budgets des départements qui paient ces aides : « Cela renforce davantage le huis-clos et favorise la vulnérabilité des personnes en situation de handicap aux violences conjugales et familiales. L’Etat doit prendre ses responsabilités sur ce sujet : la solidarité nationale et non la solidarité familiale. En laissant la situation ainsi, l’Etat cautionne implicitement la stratégie de l’agresseur, ce qui va à l’encontre de tout le travail mené dans le Grenelle. » La politique gouvernementale a récemment accentué la dépendance financière en abaissant le plafond de ressources pour les couples dont l’un des membres perçoit l’AHH.
Autre insuffisance, la situation des établissements médico-sociaux. « Si ces spécificités ont émergé à l’occasion des débats, déplore le CLHEE, elles ne sont pas prises en compte dans les mesures gouvernementales qui n’envisagent pas l’émancipation des femmes vis-à-vis de la tutelle de l’institution. On voit mal en quoi ‘rappeler à l’ensemble des établissements et services médico sociaux la nécessité du respect de l’intimité et des droits sexuels et reproductifs des femmes accompagnées’ (mesure 29) changerait quelque chose à leur application concrète en maintenant les femmes dans un milieu fermé. Ces droits existent déjà mais le système de l’institution les rend inapplicables. » Il en va de même pour la « formation en ligne certifiante » qui fait d’ailleurs double emploi avec la formation initiale des professionnels : c’est là que le respect des droits des personnes est enseigné et doit être assimilé. « Par rapport au travail du groupe handicap, très actif, il ne sort pas grand chose hormis la création de centres ressources, conclut Claire Desaint. L’important, c’est la mobilisation médiatique et des ministères sur ce sujet, mais c’est beaucoup de com’. Finalement, je suis très déçue. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2019.