Ce sont les conséquences d’un burn-out [ou syndrome d’épuisement professionnel] qui ont conduit Fabienne Paul, 49 ans, à rompre avec l’entreprise classique : « Du jour au lendemain, on ne peut plus se lever. Ma reconstruction a duré 5 ans, j’ai fait le choix de prioriser la famille à 45 ans. J’ai voulu un travail qui ne me consume pas, même si je connais mes limites, avec une autre façon de vivre. » Ses années de productivité acharnée ont mis à mal sa santé mentale, l’ont fragilisée, et conduit à se préserver. C’est à la faveur d’un bilan de compétences qu’elle s’est reclassée dans l’informatique, qu’elle maitrisait en autodidacte : « J’ai travaillé pendant une vingtaine d’années dans la formation professionnelle agricole, je suis ingénieur agronome de formation. J’ai dirigé un établissement et me suis auto-formée à l’informatique, par goût. On venait me chercher pour résoudre un problème ! »
Ces compétences, elle les met au service d’une entreprise adaptée spécialisée dans le reconditionnement de matériels informatiques et numériques, AfB issue d’une entreprise allemande créée en 2004. Elle a été « importée » en France en 2012 par Eric Laur, président fondateur. Fabienne Paul est responsable technique et logistique du site de Grenoble (Isère), depuis près de 4 ans : « J’y suis arrivée après un bilan de compétences, puis deux années de chantier d’insertion dans ce domaine. Je suis attachée à l’accompagnement des personnes qui ont été malmenées par la vie. » Et elle exerce désormais un métier technique en prise avec l’humain : « C’est ce que je suis, dans l’accompagnement et la bientraitance. A Grenoble, je ne travaille qu’avec des hommes. Il n’y a pas de spécificité par rapport au fait que je suis une femme mais je pense que c’est un avantage, en ayant plus d’attention et de bienveillance qu’un collègue masculin, on me dit que je joue un rôle de maman ! Je parle de bienveillance, plutôt que de protection. Le monde de l’entreprise classique manque de bienveillance à l’égard des salariés, il faut être attentif, savoir accepter que les journées ne soient pas les mêmes pour tous. » Elle encadre des victimes d’accidents du travail, des hommes handicapés de naissance, ou vivant avec des troubles psychiques, des maladies chroniques, tous salariés pour lesquelles tenir un emploi est compliqué.
Alexandra Rabiller, 35 ans, a également trouvé l’équilibre qu’elle espérait entre vie privée et professionnelle, tout en restant dans la communication : « J’ai eu un parcours atypique, avec l’envie qu’il ait du sens. Lors d’études en alternance, je me suis retrouvée dans une agence parisienne de communication qui travaillait pour des Organisations Non Gouvernementales, j’étais chef de projet. Une vraie richesse intellectuelle, de la diversité, mais une frustration de travailler dans un milieu aussi peu humain, avec un enchainement de projets sans investissement au long cours. » A cette déception s’est ajoutée la négation de sa déficience visuelle due à une rétinite pigmentaire, qui ne lui laisse qu’une vision tubulaire et lui interdit désormais de conduire : « Dans le milieu de la com’, le handicap on n’en parle pas, il faut être beau, smart. J’étais déjà déficiente visuelle, j’arrivais à donner le change et l’entreprise préférait payer la contribution Agefiph qu’employer… »
Elle effectuait des journées de plus de douze heures, 8h-21h30 : « J’ai senti qu’il fallait faire un choix entre vie de famille et professionnelle, et je ne pouvais pas dire aux collègues et aux clients que je ne voyais pas comme eux. Je n’ai pas tenu cinq ans, je suis devenue maman et le congé maternité a été l’occasion de partir à Annecy [Haute-Savoie], grâce à un psychologue du travail auquel j’ai expliqué mes problèmes visuels. Cela a été le début d’une nouvelle vie, en prenant en compte mes contraintes. » C’est par Cap emploi qu’elle a connu AfB, en rencontrant Eric Laur : « Je suis entrée comme chargée de communication, on était 7 collaborateurs, en mode start-up. Je travaillais à 4/5 de temps, mais on a tendance à donner tout ce qu’on a et après ça se rééquilibre, grâce à un mari formidable, qui récupère mes filles, me soutient. J’ai grandi avec AfB en la construisant, l’équipe s’est agrandie, on est trois maintenant à la communication, sur 107 salariés la plupart handicapés. »
Fabienne et Alexandra apprécient le cadre pourtant particulier de l’entreprise adaptée mêlant une minorité de travailleurs valides à 80% de salariés tous handicaps : « La mixité a du bon, elle apporte de l’entraide, c’est agréable d’être soutenue, appuie Alexandra Rabiller. On crée des passerelles, des ponts, le handicap n’est pas un frein mais il faut que cela s’accompagne d’une sensibilisation des employeurs. » Parce que l’accès ou le retour à l’entreprise classique demeure la finalité de la politique étatique, ce qui nécessite encore d’expliquer, de convaincre. « C’est même l’essentiel, ajoute Fabienne Paul, c’est l’aval qui est important, que les entreprises dites classiques n’aient pas d’idées floues sur les entreprises adaptées. On ne peut pas aujourd’hui aller à contre-courant, il faut vivre cette évolution du mieux possible pour nos collaborateurs. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2020.
Fabienne Paul et Alexandra Rabiller ont toutes deux été primées lors des trophées Femmes en Entreprise Adaptée organisés par Handiréseau, dont la 6e édition se déroulera à Paris le 10 mars. Le public est invité à voter pour attribuer son propre prix à l’une des candidates.