C’est peu dire que l’appel d’offres lancé par le ministère chargé des droits des femmes suscite une vive protestation des organisations de défense… des droits des femmes. Il vise purement et simplement à remplacer l’actuel numéro 3919 Violences Femmes Info (lire cette présentation) par un autre service et numéro, confié à une entreprise de l’économie sociale et solidaire. Une procédure taillée sur mesure, par exemple, pour le Groupe SOS dont le patron, Jean-Marc Borello, est membre du bureau exécutif du parti présidentiel La République en marche qui a portes ouvertes aux bureaux des ministres [Sa direction tient à préciser que « le Groupe SOS ne souhaite pas répondre à cet appel d’offres, et n’a en aucun cas participé à son élaboration » NDLR]. Au-delà d’une telle considération opportuniste, l’extension du service existant en l’étendant 24h/24 apparaît utile, et rien n’empêche l’organisation qui le gère, la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), de le faire si elle dispose des moyens financiers nécessaires pour rémunérer le personnel supplémentaire. Pourtant, le marché public vise à créer de toutes pièces un nouveau service dont le nom, la marque et le numéro d’appel seront propriété de l’État, ce qui suppose de constituer tout un édifice en tirant un trait sur les 20 années d’expérience et d’expertise de la FNSF. Du passé faisons table rase, tel semble le credo du ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes confié à Élisabeth Moreno.
Face à la contestation, le Gouvernement s’est défendu en invoquant l’accessibilité du nouveau service aux appelantes sourdes ou aphasiques, obligation inscrite dans le cahier des charges. Cette accessibilité pour les personnes sourdes ou malentendantes est pourtant effective depuis six mois, comme on le constate en bas de la page du 3919, où figure un bouton blanc marqué d’une oreille barrée, précise sa directrice, Françoise Brié : « C’est RogerVoice qui l’assure, et ils nous ont dit qu’ils savent traiter la communication avec des personnes aphasiques ». Ce qui est faux : les techniques adaptées de communication en sont encore au stade d’une expérimentation lancée en janvier 2020 par le service d’appel d’urgence 114 et interrompue par la pandémie de coronavirus. De son côté, Solidarité Femmes a oublié de faire connaître et rendre visible cette possibilité de contact. L’information est toutefois parvenue à la Fédération Nationale des Sourds de France (FNSF également) : « Nous savons que la Fédération nationale Solidarité Femmes a mis en place leur numéro 3919 accessible aux personnes sourdes (appels possible en LSF) », précise-t-elle. Mais la FNSourds n’a pas été contactée lors de l’élaboration du cahier des charges pour définir les besoins des appelantes sourdes. De même que la Fédération Nationale des Aphasiques de France (FNAF) dont le président n’est pas informé et qui, par ailleurs, attend toujours la mise en accessibilité pour ses « usagers » des deux centres-relais des conversations téléphoniques créés en octobre 2018 sous forme d’applis mobiles. Ni l’une ni l’autre ne peut assurer la communication avec une personne aphasique, et ce chantier est au point mort comme vient de le rappeler l’autorité de régulation des communications (ARCEP) : « La mise en place d’une offre de services spécifiquement consacrés aux utilisateurs sourdaveugles et aphasiques n’est toujours pas effective, et doit devenir une priorité effective pour les opérateurs », a-t-elle rappelé en communiquant les dernières statistiques d’utilisation de ces centres-relais plus de deux ans après leur création.
Les personnes aphasiques oubliées.
Or, c’est à l’un de ces centres-relais applis mobiles que l’accessibilité du futur Violences Femmes sera confiée comme on le constate à la lecture du paragraphe 2.5.2 du cahier des charges : « L’accessibilité aux personnes sourdes, malentendantes et aphasiques de la plateforme téléphonique sera assurée par l’administration, via un lien prévu sur une page dédiée sur un site internet de l’Etat, permettant soit : La Visio-interprétation en LSF ; La transcription instantanée de la parole (sous-titrage en temps réel) ; La Visio-codage en LPC […] Le mode opératoire est le suivant : L’Appelant contacte le prestataire en charge de l’accessibilité en Visio ou en transcription instantanée de la parole ; Le prestataire contacte par Téléphone la plateforme du téléphonique du titulaire ; La mise en relation est effectuée. L’administration souhaite que ce type d’appels soit géré dans les meilleures conditions sans attente. » Il est très clair que cette accessibilité sera sous-traitée à une autre société sur décision de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Interrogé sur la procédure d’appel d’offres concernant cette sous-traitance, le ministère de Madame Moreno botte en touche : « Le marché étant en cours nous ne pouvons pas commenter le cahier des charges ». En l’absence d’un appel d’offres complémentaire, ce sera par un marché de gré à gré que le sous-traitant chargé de l’accessibilité sera choisi parmi des opérateurs qui ne savent pas la mettre en oeuvre pour les personnes aphasiques. Cela ne gênera pas l’Administration ni ses ministères de tutelle : les secrétaires d’Etat chargés du Numérique et des Personnes handicapées estiment que les centres-relais applis mobiles assurent la communication avec toutes les personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles ou aphasiques et considèrent avoir rempli leur mission sans nécessité d’y revenir. Ils ont d’ailleurs ignoré la motion explicite du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées datée du 1er juillet dernier. Demain comme aujourd’hui, Violences Femmes ne sera pas mieux accessible.
Laurent Lejard, janvier 2021.
PS trois jours après la publication de cet article, le ministère chargé des droits des femmes a interrompu la procédure d’appel d’offres, lire l’actualité du 25 janvier 2021.