Si le débat a été vif dans notre société et à l’Assemblée Nationale en 2018 comme en 2021 sur la définition d’un âge en dessous duquel le consentement à l’acte sexuel n’existe pas et ne doit pas être recherché, les personnes dont le discernement est altéré par les conséquences d’un handicap mental ou psychique ont été évacuées du débat. Une majorité sexuelle fixée à 13 ou 15 ans n’a aucun sens pour elles. Pourtant, elles demeurent traitées, en pratique, comme n’importe quelle victime d’abus sexuels, comme on l’a encore constaté le 25 novembre dernier avec la confirmation en appel à Versailles (Yvelines) de l’acquittement d’un trentenaire poursuivi pour avoir violé à plusieurs reprises au printemps 2017 une adolescente handicapée mentale âgée de 17 ans. D’abord attouchée dans un train de banlieue puis pénétrée et déflorée, elle est tombée amoureuse de son violeur et c’est sur cette déclaration que les jurés se sont basés pour acquitter deux fois un homme pourtant condamné trois fois pour exhibitions et agression sexuelles ! L’âge mental de l’adolescente, estimé à 10 ans par l’expertise psychiatrique, n’y a rien fait : face à la déclaration d’amour, la contrainte tombe, le violeur présumé est acquitté. Deux autres « attributs » du viol, la violence et la menace, n’existaient pas dans cette affaire, restait la surprise que les deux cours d’assises du Val d’Oise et des Yvelines n’ont pas retenue malgré les efforts des défenseurs de la jeune femme.

Un débat silencieux

Un verdict qui a entraîné l’un de ses avocats, Vincent Nioré, à mobiliser une vingtaine de consoeurs et confrères pour rédiger et signer une tribune dans le magazine Marianne réclamant une réforme urgente de la protection des personnes handicapées contres les violence sexuelles. Un appel dans le désert, qu’aucun politicien, ministre ou association nationale de défense n’a commenté ou relayé. Ni même la députée présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Marie-Pierre Rixain ; organisatrice, la veille du verdict des Assises de Versailles, d’un colloque sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, elle n’a pas souhaité s’exprimer en invoquant un agenda chargé… Quant à son homologue au Sénat, Annick Billon, ses collaborateurs à Paris comme à La Roche-sur-Yon (Vendée) n’ont même pas pris la peine d’accuser réception de nos demandes.

Ce jugement inquiète Claire Desaint, vice-présidente de Femmes pour le Dire Femmes pour Agir : « Évidemment on reste sans voix devant cet acquittement. Même si la jeune fille est amoureuse et voulait l’épouser, cela ne justifie pas le viol. D’ailleurs la loi interdit le viol conjugal. Le consentement n’est absolument pas là, il s’agit d’un prédateur qui a profité de la situation. Je ne comprends pas comment on n’a pas retenu la contrainte puisqu’elle avait refusé. Il faut absolument que la loi revoie la notion de « consentement » concernant les personnes handicapées mentales, intellectuelles, psychiques. Et que tous les magistrats et magistrates, avocats et avocates suivent une formation spécifique sur le handicap. » FDFA demande que la situation de handicap devienne un élément constitutif de l’agression ou du viol, et pas seulement une circonstance aggravante. « Celle-ci n’est pratiquement jamais retenue, déplore Claire Desaint. La femme est toujours coupable de ce qui lui arrive, et le fait d’être handicapé est très mal pris en compte. »

Proposition de Muriel Salmona reprise dans un communiqué des Effronté-es

L’âge du consentement à l’acte sexuel de personnes handicapées a été abruptement évoquée par l’organisation féministe Les effronté-es dans son infolettre du 21 janvier 2021 : « Cet âge seuil doit être élevé à 18 ans en cas d’inceste, dans le cas ou l’acte est commis par personne ayant autorité, ou si le/la mineur-e est en situation de handicap. » Elle l’avait justifié en faisant référence à la réponse de la psychiatre Muriel Salmona, publiée le 6 décembre 2020, au rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes élaboré par la députée Alexandra Louis : « La grande majorité [des voix] demandent un seuil d’âge à 15 ans et en cas d’inceste, d’auteur en position d’autorité et de victime en situation de handicap et de grande vulnérabilité à 18 ans », justifiait la psychiatre sans préciser davantage sa pensée. Confronté-es à notre questionnement, Les effronté-es ont discrètement modifié leur prise de position sur leur site web… et évacué le débat.

« L’état de vulnérabilité devrait suffire à un moment donné pour marquer l’impossibilité d’exprimer un consentement quelconque », estime Maître Vincent Nioré. Sa consoeur Solenne Brugère rappelle la première définition juridique du viol, crime que commet celui qui use de force et de violence malgré la résistance forte et persévérante de la victime : « Depuis le début, on est dans cette définition et cette croyance persistante qu’il n’y a pas viol si la personne ne se débat pas, si elle est timide, ou en état de sidération. La définition actuelle est très perverse, le viol n’existe qu’avec l’un de ces quatre critères, la contrainte, la menace, la violence ou la surprise. En l’absence, il y a présomption de consentement. On croit que cette définition est bien faite mais emprise ne vaut pas surprise, et crainte ne vaut pas contrainte. » Elle estime que la définition juridique du viol est une passoire qui laisse passer plus de 80% des agressions et conduit à ce que moins de 1% des viols soient sanctionnés : « Plus on est vulnérable, moins on est protégé », déplore-t-elle.

Bannière violence contre les femmes

Vincent Nioré va proposer au Barreau de Paris, dont il a pris la fonction de vice-bâtonnier ce mois-ci, de réfléchir à l’instauration d’un consentement impossible avant l’âge de 18 ans pour les personnes handicapées mentales, et plus particulièrement les femmes « biologiquement mineures et à dire d’expert pour déterminer l’âge réel. Au-delà de l’âge biologique de 18 ans, à dire d’expert pour la détermination de l’âge mental. Là, ça sera plus compliqué parce que beaucoup de gens pensent qu’à partir du moment où elles sont biologiquement majeures, elles ont droit à une vie sexuelle autonome, handicap mental ou pas. » Le consentement à l’acte sexuel des personnes handicapées mentales serait donc déterminé, en cas d’accusation ou suspicion d’agression ou de viol, par un âge minimum en dessous duquel il n’existe pas (18 ans) et au-delà en fonction d’une expertise psychologique et psychiatrique visant à déterminer l’âge mental réel. Ce qu’argumente Maître Solenne Brugère : « Le code pénal protège les jeunes dont l’âge physique est de 15 ans, ou 18 ans en cas d’inceste, sauf que si une femme handicapée a 9 ans d’âge mental par exemple, qu’elle soit violée à 20 ans ou 30 ans, elle sera toujours une enfant de 9 ans. Le code pénal crée une discrimination entre des personnes qui ont 15 ans ou 18 ans d’âge physique, en fait il faut se décorréler de l’âge et considérer la vulnérabilité : est-ce que oui ou non l’agresseur s’en est pris à elle parce qu’elle est une proie idéale, qu’il sait qu’elle ne va pas savoir dire non, qu’elle ne va pas s’opposer et qu’il va pouvoir faire ce qu’il veut d’elle ? Les femmes en situation de handicap sont la première proie des agresseurs, ce n’est pas pour rien, que ce soit dans la rue ou les institutions médico-sociales. » Si les réflexions du Barreau de Paris aboutissent, ses travaux alimenteront-ils un débat public qu’aucune association nationale de type APF, Unapei ou APAJH ne veut lancer ?

Une société aux yeux bandés ?

Présidente de l’Association Francophone de Femmes Autistes (AFFA) et spécialiste reconnue en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, Marie Rabatel expose son analyse de la situation. « La société a-t-elle envie de voir ce qui se passe derrière les murs d’une institution ou du domicile, dès qu’une personne handicapée est confrontée aux violences sexuelles ? Ces violences spécifiques ne datent pas d’aujourd’hui, elles sont décrites dans le rapport de la commission d’enquête du Sénat de juin 2003. Des associations alertent de longue date sur la double peine des femmes handicapées face aux violences sexistes et sexuelles mais le néant de réaction sociétale est à déplorer. Malgré ceux et celles qui ont tenté de nous dissuader de nous investir dans cette cause, nous ramons sans relâche pour que les bandeaux tombent.

Violences

Au début de ce quinquennat, avec le député Adrien Taquet, deux de nos amendements écrits à quatre mains pour protéger davantage les enfants et adultes handicapés en institution ont été adoptés de façon transpartisane. Puis, la délégation aux droits des femmes du Sénat présidée par Annick Billon a poursuivi avec la rédaction du rapport d’octobre 2019 « Dénoncer et Agir – Les femmes en situation de handicap victimes de violences ». Dans le domaine du sport, la ministre Roxana Maracineanu a pris en compte la spécificité du handicap dès la mise en oeuvre de la stratégie « Sport Responsable » destinée à lutter contre les violences sexuelles dans le sport. Paradoxalement, à cette même époque, nous avions pu remarquer un manque de prise de conscience sur ce sujet par la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel. Les choses, depuis, semblent changer progressivement.

Fiche Handiconnect sur les violences

Cette position de départ de Madame Cluzel n’est malheureusement pas un cas isolé. Membre de la Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants (CIIVISE), j’ai pu observer qu’à ses débuts cette commission avait le plus grand mal à se débander les yeux. Mais, à force de martèlement, a émergé une réelle prise de conscience de l’importance des violences sexuelles subies par les enfants handicapés. Aujourd’hui, je constate que cette dynamique est bien enclenchée puisque nous y travaillons de manière interministérielle. Lors du Grenelle des violences conjugales, nos travaux pilotés par le Comité Interministériel du Handicap et en collaboration avec la Direction Générale de la Cohésion Sociale ont permis l’élaboration d’une circulaire à destination des établissements médico-sociaux, des centres ressources régionaux à la vie intime, affective et santé sexuelle, des formations pour la police et la gendarmerie, mais aussi, des modules auto-formatifs, des fiches Handiconnect, des outils créés par la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).

Mais nous sommes encore confrontés à la caporalisation du monde associatif qui est un facteur important du maintien de l’omerta. Un travail est à mener en ce qui concerne la déclaration de conflits d’intérêt et la protection des lanceurs d’alerte. Décoincer la parole institutionnelle est primordiale. Aussi, comme nous l’avons rappelé lors de nos réflexions dans la préparation de la loi dite « Billon », l’état de vulnérabilité n’a pas d’âge et doit être un élément constitutif, et non une circonstance aggravante, de l’infraction d’agression sexuelle et de viol. L’abus de vulnérabilité a encore de beaux jours si la loi ne progresse pas en ce sens. Agissons tous ensemble afin de libérer la parole institutionnelle pour libérer la parole des victimes trop longtemps bâillonnée par la règle tacite du silence. Le #meetooHandicap verra alors peut-être le jour. »

Laurent Lejard, janvier 2022.

PS : l’avocate Solenne Brugère relève la difficulté d’assurer la défense des victimes handicapées d’abus sexuels et d’inceste qui n’ont pas les moyens financiers d’assumer les frais de poursuite judiciaire et de défense de leurs droits par des avocats et experts. Elle souhaite constituer une équipe d’avocats et de spécialistes, et lance un appel à contributions auprès de mécènes, fondations et entreprises qui souhaiteraient soutenir cette action de responsabilité sociétale.

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