Un laboratoire d’élaboration et fabrication de produits cosmétiques installé dans le presbytère de l’église Saint-Joseph de la rue de Malleville à Enghien-les-Bains (Val d’Oise), voilà qui est inattendu et probablement unique en France ! « Le curé en a fait un tiers-lieu, justifie Angélique Godet. Le laboratoire est au 2e étage, malheureusement inaccessible en fauteuil roulant. » Mais pas le bureau au 1er desservi par une longue rampe zigzagant sur des piliers dans la cour, ni pour les deux employés handicapés (l’une mentale, l’autre psychique) de Cosmetange, entreprise pour laquelle Angélique a créé des savons et un shampooing à faible impact environnemental s’inscrivant dans la tendance slow cosmétique ; des produits fabriqués à partir d’ingrédients naturels, dérivés d’huile d’olive et de coco, beurre de karité, kaolin, huile de buriti, etc., et l’eau soufrée de cette station thermale jadis huppée, située à 15 minutes de Paris par le train… et plus d’une heure en voiture !
Née en Normandie il y a 42 ans, Angélique a quitté cette région pour suivre à Paris des études supérieures : « Toute ma vie est dans la rue de Malleville, je suis souvent passée devant les thermes d’eau soufrée. » Elle a obtenu en novembre 2022 l’autorisation du Conseil Municipal de l’utiliser dans la fabrication des savons, après une année de formalités pour avoir les autorisations : « Avec cette eau, le savon est solide en 12 heures au lieu d’une semaine, constate-t-elle. C’est un avantage, mais il a fallu installer un traitement des vapeurs soufrées pour ne pas incommoder les employés. » Biochimiste, elle déploie l’étendue de ses compétences acquises au prix d’efforts constants pour maîtriser les troubles psychiques avec lesquels elle vit depuis l’enfance. Ses études en Normandie puis à Paris ont été perturbées par de multiples problèmes de santé mentale et physique l’ayant contrainte à dédoubler les années. Jusqu’à un burn-out alors qu’elle était enseignante chercheuse à l’université Pierre et Marie Curie. Si elle en parle pour briser les tabous, elle a construit une vie de travail mais aussi affective et familiale : maman d’une fillette de 10 ans, Clélia, elle vit en couple. « Le petit miracle est arrivé. Mes troubles trouvent leur origine dans des traumatismes infantiles graves. Mon mari m’a appris à les surmonter. Je suis très empathique, c’est compliqué à vivre dans l’interaction avec les autres. »
Dans son parcours de reconstruction professionnelle, elle envisageait d’écrire des histoires pour enfants, tout en élaborant des cosmétiques « maison » pour des amis en élaborant des recettes à base d’ingrédients naturels. Produits à la demande qui ont plu : « Cosmetange a commencé comme ça, et également pour traiter les allergies de mon mari, en faisant de la saponification à froid. J’ai commencé à fabriquer en 2021, après que les gens se sont abîmé les mains pendant la crise du Covid avec le gel hydroalcoolique. » D’où ses produits apaisant pour la peau, composés d’ingrédients bio, subtilement parfumés, qui doivent maintenant trouver leur place dans un environnement très concurrentiel. Les 8 produits prochainement en phase de test et expertise d’innocuité étofferont la gamme, dès que la société disposera des sommes nécessaires : un test en laboratoire coûte 16.000 euros pour 5 produits.
Au labo, à la fabrication et à la direction, Angélique Godet espère parvenir à déléguer des tâches, ce qui nécessite pour elle de faire sauter des verrous mentaux. Ses prochaines étapes : obtenir l’agrément Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale (ESUS), et celui d’Entreprise Adaptée. Et au préalable, s’installer en janvier 2024 dans les nouveaux locaux du tiers-lieu Saint-Paul des Nations en cours de finition dans la commune voisine de Saint-Gratien : « Il est dans un quartier prioritaire de la ville, avec table ouverte, accueil et aide aux migrants, soutien scolaire des enfants et des jeunes. Le diocèse de Pontoise soutient la démarche. C’est une aventure humaine pour tous. » Pour les savons d’Angélique aussi.
Laurent Lejard, octobre 2023.