Coline Astier est bien une femme de son temps. Comme bien d’autres, elle a privilégié l’engagement au travail rémunérateur, en quittant un emploi d’ingénieure dans l’aéronautique pour entrer, il y a 18 mois, au Messageur comme chargée d’innovation. Elle en est actuellement co-gérante, aux côtés de Nolwenn Dutertre, et cheffe de projet. Cette société coopérative propose, depuis une douzaine d’années, de sous-titrer en direct des événements, des réunions professionnelles, des supports multimédias, etc., ainsi que de l’accompagnement de salariés en emploi ou formation.
Née sourde en 1989, elle a été diagnostiquée à l’âge de 2 ans, appareillée et oralisée par choix de sa mère. Elle s’exprime d’ailleurs avec une pointe d’accent de son sud-ouest d’origine, Cahors dans le Lot, où elle a suivi une scolarité primaire classique, avec accompagnement par des éducateurs de l’APAJH locale : « Avec eux, je travaillais tous les mercredis mon audition, mon rapport à la société. Et l’un d’eux me donnait un cours particulier chaque semaine pour que j’arrive en classe en anticipant les leçons, je savais à quelle sauce j’allais être mangée puisque je connaissais les sujets des cours ! Et j’ai eu une maman exceptionnelle qui m’aidait beaucoup à la maison. » Mais au collège, surtout à partir de la 4e, elle a commencé à galérer : « Avec le recul, je ne sais pas comment je m’en suis sortie. Je n’avais aucune accessibilité, mais j’étais à côté d’un camarade assez gentil pour recopier ses notes. Il me fallait avoir la chance d’un camarade suffisamment bon pour être sûre que la prise de notes serait exhaustive. » Et comme le soutien de l’APAJH s’est arrêté, Coline Astier s’est retrouvée à la merci de la bonne volonté. Ce qui l’a sauvée, c’est son sérieux et ses bons résultats, même si son orientation au lycée s’est un peu faite par défaut : les sciences, parce que les supports écrits étaient plus nombreux que dans les matières littéraires qui l’attiraient davantage. « J’ai fait un choix d’études de raison, et pas de coeur, pour être sûre d’aller jusqu’au bout, en Master 2 science des matériaux. »
Un domaine dans lequel elle n’a pas travaillé. Installée alors à Toulouse, elle a subi l’attraction exercée par le gros employeur local, le constructeur aéronautique Airbus, et a été employée par l’important sous-traitant informatique Sopra Steria, en tant qu’ingénieure qualité ; grâce à sa mission handicap, elle a bénéficié d’un bon aménagement de son poste de travail, dont l’accompagnement par Le Messageur : « Ça a changé ma vie, j’avais une accessibilité qui correspondait à mes besoins. Je me suis vu évoluer professionnellement de manière exponentielle. Avant, je refusais de participer à des réunions où je ne comprenais rien, j’évitais la communication complexe, je stagnais professionnellement. Et quand un poste qui me correspondait s’est ouvert au Messageur, j’ai postulé pour participer à cette aventure, aider les personnes sourdes ou malentendantes à avoir des moyens d’accessibilité. »
Sans nostalgie de son Cahors natal, Coline Astier a trouvé ses marques à Toulouse : « J’aime la grande ville, la diversité, voir des gens différents tous les jours. A Cahors, une petite ville, je me sentais un peu la sourde du coin. » Elle agit au sein de l’Association des Malentendants et Devenus Sourds Midi Pyrénées dont elle co-secrétaire, apprécie de visiter les lieux culturels toulousains et d’aller à la découverte de la ville et de ses alentours. Tout en prenant soin d’organiser des temps calmes, autour de la lecture, sans ses appareils auditifs, même avec l’homme entendant avec laquelle elle vit depuis six ans : « On a un code. Quand j’enlève mes appareils, je vais lui dire la communication est terminée pendant X temps, et ça nous va très bien. Il a bien intégré que j’ai besoin de moments où je ne communique pas. » Elle a besoin de ces temps calmes pour réduire la fatigue générée par les appareils : « J’ai un implant cochléaire depuis mes 25 ans, les appareils auditifs ne suffisaient plus. Mais pour mon cerveau, ce n’est pas naturel d’entendre, et je dois faire un important travail cérébral fatigant. » D’autant plus que le son de l’implant est électronique, et celui de la prothèse qu’elle utilise pour l’autre oreille est acoustique, les deux devant cohabiter.
Coline s’est posé la question de la transmissibilité de sa surdité d’origine congénitale : « J’ai fait des analyses génétiques, pour comprendre l’origine de ma surdité et savoir si j’allais la transmettre. A priori, elle est due à un gène récessif, je n’ai pas plus de risque que n’importe qui de transmettre cette surdité. Cela ne veut pas dire que ça ne peut pas arriver. » Est-ce pour Coline un frein à la maternité ? Pour l’instant, elle est encore absorbée par son travail au Messageur et son engagement associatif, arrivée à une étape de sa vie qui laisse peu de place pour d’autres projets…
Laurent Lejard, mai 2024.