Julie est née il y a 17 ans, 17 ans d’amour. Elle est née polyhandicapée puisqu’elle a un syndrome d’Aicardi, confirmé par le Docteur Jean Aicardi lui- même lors d’une visite à l’hôpital Necker (Paris) en 1989. Elle ne marche pas, ne parle pas, ne tient pas sa tête. Elle a une vue bien différente de la nôtre mais communique avec son regard.
Combien de fois m’a-t-on dit, « c’est elle qui décide ». Combien de fois je l’ai suppliée de vivre. J’ai besoin d’elle comme elle a besoin de moi. Elle est mon oxygène, mon souffle de vie. Julie m’a tant appris sur la vie, la différence, la souffrance, la tolérance… Jamais je n’accepterai son handicap mais je veux lui donner une vie la plus confortable possible avec un maximum d’amour. Vivre avec Julie, c’est vivre à son rythme. Chaque jour s’organise autour de son état de santé. Mais je ne me plains pas. C’est elle qui subit, qui se déforme. C’est vrai, des enfants sont mieux, même beaucoup mieux. Mais il y en a qui sont pires aussi. Et puis quand le moral est au fond du puits, il n’y a pas le choix de revenir à la surface.
Pour moi, être parent d’enfant polyhandicapé, c’est savoir s’adapter rapidement à différentes situations, être infirmière et kiné. Et avoir une santé robuste : entre les levers, les couchers, les changements de position (la nuit, le jour), les coques et j’en passe, il y aurait tellement à dire. Mais j’ai peur de l’avenir. Je refuse une prise en charge à temps complet dans une Maison d’Accueil Spécialisé, le temps passé ensemble est si important pour notre équilibre de vie. Je ne couperai jamais ce cordon qui nous lie depuis des années. J’aimerais tant arrêter l’horloge du temps qui plane chaque jour sur notre tête.
Depuis sa naissance, Julie a eu beaucoup d’encombrements pulmonaires. Qui dit encombrement, dit séjour à l’hôpital et parfois en réanimation. Il fallait trouver une solution. Pour moi, il n’était pas question de lui faire une gastrostomie. Je ne voulais pas, pas question de mutiler ce petit ventre que j’aimais tant, c’était la solution de facilité pour le personnel médical. Non, même si les médecins me l’ont expliqué avec des termes de confort, ce n’était pas leur enfant, c’était ma fille. Mais un jour, Julie a eu un encombrement plus important, il fallait le faire, j’ai eu très mal. Mal de voir un corps étranger sortir de son ventre. Pour moi c’était décidé, bien dans ma tête, sortie de l’hôpital, je continuerai à faire manger Julie et je ne me servirai de la sonde que lorsqu’elle serait malade. Les mois ont passé, et les encombrements étaient de plus en plus fréquents. Julie avait beaucoup de mal à s’alimenter, son poids chutait, je me suis résignée…
Maintenant, Julie a sa gastrostomie depuis 5 ans, et si j’avais su ! Si d’autres parents avaient pu me renseigner, je l’aurais fais bien avant ! Ce petit bouton qu’elle a sur son ventre n’est pas plus dérangeant qu’une paire de lunettes, et cela à l’avantage d’être caché. Et puis c’est un tel bien- être pour ma fille : plus de fausses routes, moins d’encombrements, moins d’hospitalisations. Je sais qu’elle mange, qu’elle a toutes les vitamines, et quand elle va bien, je garde le privilège de lui donner par voie buccale ce qu’elle aime par dessus tout : des yaourts, du chocolat, de la glace. Je ne me pose plus de question pour lui donner ses médicaments, pour l’hydrater l’été quand il fait chaud. Je regrette d’en avoir fait qu’à ma tête, quand je pense à tout ce confort que cela peut apporter. Je m’en veux d’avoir été si égoïste et de ne pas avoir pensé avant tout au bien être de Julie. Je criais haut et fort que mon seul désir était de donner à Julie une vie agréable et en lui refusant cette gastrostomie, je ne lui donnais que des désagréments.
Lorsque Julie était petite, j’ai cherché en vain à rencontrer d’autres parents ayant des enfants polyhandicapés. Au bout de dix ans, j’ai enfin trouvé en la personne d’une présidente d’association. Dans un premier temps ce fût pour moi un réel bonheur… qui tourna très vite au cauchemar : Madame la présidente était cliente chez le grand traiteur Lenôtre pour réunir le conseil scientifique. Et prenait des cours de communication facilitée pour son enfant… à la charge de l’association. Madame louait un monospace pour l’assemblée générale et utilisait toujours le taxi pour se déplacer (le métro c’était sans doute trop vulgaire). Madame descendait dans les établissements luxueux de la chaîne hôtelière Concorde pour ses déplacements, et j’en passe… Une dame, pourtant, à écouter tel un livre, de jolis mots collés aux uns aux autres, sortis d’une bouche d’un rouge vif toujours irréprochable. A ne pas contrarier, surtout, puisqu’elle était la Présidente…
Je n’arrive toujours pas à comprendre qu’il n’y ait pas plus de contrôle dans ces associations. Je trouve méprisable ce genre de personne qui gère les fonds obtenus, souvent de parents, comme si c’était leur bien personnel (et qui en usent comme tel) sans demander l’avis de personne; dont le langage est tellement recherché qu’on est pratiquement obligé de prendre le dictionnaire (et de s’apercevoir à posteriori que ce n’était pas utilisé à bon escient) ! Et qui, malheureusement, est tellement calculatrice dans ses gestes et paroles que tout le monde la trouve formidable. A notre époque, l’apparence est toujours aussi importante : on croira toujours davantage la parisienne bien mise et au beau vocabulaire, que la provinciale en jean.
Reste un soutien formidable, ma famille. Pour elle, Julie c’est Julie tout simplement. De plus, il y a l’A.A.L syndrome d’Aicardi, association autonome née en 2002 en Lorraine. Là, on trouve le langage du coeur, de l’amour pour nos enfants.
Catherine, maman de Julie, juin 2004
Catherine a mis en place un site Internet dédié à Julie. Avec cette exergue : « Je te remercie Julie, toi mon trésor de petite fille, pour tous les instants de bonheur que tu me donnes. Charly, et toi Rémy, mes petits garçons, d’accepter sans reproche la présence que je donne à votre grande soeur. D’accepter sans rien dire ma fatigue, mes changements d’humeur et mes crises de larmes, surtout quand Julie ne va pas bien. Je vous aime, vous qui êtes la vie tout simplement »…