La scolarisation des enfants handicapés suscita une vive polémique à quelques jours du second tour de l’élection présidentielle, lors d’un débat opposant la candidate socialiste Ségolène Royal et l’U.M.P Nicolas Sarkozy, finalement vainqueur le 6 mai 2007. Lors de son premier discours consacré à l’action en direction des personnes handicapées, le président Nicolas Sarkozy a réaffirmé le 9 juin, devant l’Unapei réunie en congrès national, sa volonté de créer un droit opposable à la scolarité en faveur des enfants et jeunes handicapés. « Cette proposition va dans le bon sens, commente Laurent Cocquebert, directeur de l’Unapei, parce qu’elle témoigne d’une volonté de poursuivre l’action de l’État pour la scolarisation des enfants handicapés, dans l’école ordinaire mais aussi dans les établissements spécialisés ». Laurent Cocquebert rappelle néanmoins que le droit à la scolarité est déjà juridiquement opposable et que des parents d’enfants handicapés ont déjà fait condamner l’État, par la justice administrative, pour ces carences éducatives : « L’expérience montre, pour quelques affaires qui ont abouti, que l’éducation nationale et les Ddass parviennent à trouver une solution de scolarisation ».
« On a été surpris par cette annonce, déclare Gilles Moindrot, secrétaire général du Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des écoles et P.E.G.C (SNUIPP F.S.U). Le droit est déjà dans la loi, et des parents qui ont poursuivi l’État pour manquement à l’obligation scolaire ont gagné. Le droit à l’école doit être immédiat, les enseignants sont plutôt volontaires pour cela ». Le Syndicat des Enseignants (UNSA) estime également que le droit opposable est déjà inscrit dans la législation. « On pense que tous les parents ne pourront pas mener des poursuites judiciaires, déclare la syndicaliste Nelly Paulet, alors que tous ont le droit d’inscrire leur enfant à l’école. Les familles qui poursuivront l’État sont aussi celles qui auront les moyens de scolariser leurs enfants ailleurs, ce droit est une perte de temps et une iniquité. Mais de quels moyens disposent les écoles pour accueillir les élèves handicapés ? La loi dit que l’État doit mettre les moyens, ce qui n’apparaît pas sur le terrain ». Nelly Paulet rappelle que 40 % des enseignants affectés à une classe d’intégration scolaire n’ont pas suivi une formation spécialisée; elle déplore également le turnover important chez les Auxiliaires d’Intégration Scolaire, peu formés et mal payés, dont la fiabilité peut poser des problèmes aux enseignants. Elle s’inquiète quant au devenir des Emplois Vie Scolaire, salariés embauchés sur des contrats encore plus précaires et sans formation, des emplois conçus pour résorber le chômage : « Ce n’est pas en renforçant le droit qu’on va obtenir un résultat, estime Nelly Paulet. Les parents auront une indemnisation mais cela ne résoudra pas le manque de moyens. C’est la différence entre une démarche juridique ou humaniste ».
Côté parents d’élèves, la circonspection est également de mise : « Ce qui nous gêne, constate Catherine Belhomme, administratrice à la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (F.C.P.E), c’est que faire respecter ce droit nécessiterait de déposer un recours. Les délais ne sont pas acceptables, il faut s’adresser à une association ou un avocat pour monter un référé devant le tribunal administratif. Et pendant la procédure, il faut s’occuper de l’enfant ».
Catherine Belhomme relève également les lacunes en matière de formation des enseignants : « Le rejet d’enfants déficients intellectuels est encore présent. Ce handicap suscite davantage d’inquiétudes que le handicap moteur, sur lequel le regard a changé. Cela passe par une meilleure connaissance par les enseignants des besoins et difficultés spécifiques ». Elle estime que les Classes d’Intégration Scolaires font progresser l’école parce que les enseignants, les élèves, les parents sont davantage à l’écoute les uns des autres : « Petit à petit, ça rentre dans les moeurs. Mais il y a toujours un risque de rejet de l’élève handicapé quand l’enseignant est débordé par les tâches qu’il doit accomplir dans une classe surchargée ».
Actuellement, de multiples actions de parents d’élèves préparent la rentrée scolaire : manifestation dans le Nord pour protester contre l’exil en Belgique d’enfants handicapés sans solution d’accueil et de scolarité en France, pétition dénonçant le délai de cinq ans pour obtenir une scolarisation, actions d’inscription systématique à Brest suivant en cela l’incitation initiée par Ségolène Royal. Pour autant, il serait hâtif de conclure à une manipulation politique si, en septembre 2007, des milliers de nouveaux jeunes handicapés sont inscrits dans l’établissement scolaire de leur quartier : l’annonce faite le 18 juin par Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, de la création d’ici à 2010 de 20.000 nouvelles places en Unités Pédagogiques d’Intégration (U.P.I) constitue un véritable appel d’air et confirme la volonté politique d’ouvrir largement le système éducatif à tous les enfants. Il reste à savoir si les moyens d’assurer un réel accès à l’éducation et à la connaissance seront effectivement dégagés, à la fois en termes humains, matériels et financiers. La première réponse sera apportée durant l’automne prochain lors du débat parlementaire du budget de l’éducation nationale. Mais cela ne réglera pas la situation des 15.000 enfants accueillis dans des établissements spécialisés qui ne reçoivent pas d’enseignement, n’ont accès ni à l’apprentissage de la lecture ni du calcul. Un autre chantier à ouvrir.
Laurent Lejard, juin 2007.