Dans l’un des départements les plus riches de France, des parents d’enfants et adolescents handicapés se sentent démunis : leurs dossiers à la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) trainent en longueur, les renouvellements d’Allocation d’Éducation de l’Enfant handicapé (AEEH) sont à la baisse de même que les montants accordés de Prestation de Compensation du Handicap (PCH), la scolarisation souffre d’un nombre insuffisant d’heures d’Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS)… Ces parents ont le sentiment que leurs enfants sont de plus en plus laissés pour compte, que les moyens ne suivent pas les besoins, dans une indifférence accentuée par l’isolement des familles concernées.
D’abord, les procédures de la MDPH : « Le délai légal de réponse à une demande est de quatre mois, rappelle Carine Taddia, membre du Collectif Handicap PACA qui agit depuis treize ans en Provence Alpes Côte d’Azur pour promouvoir la participation des personnes handicapées à la vie sociale. Avant la fin de ce délai, la MDPH demande des documents supplémentaires, ce qui peut allonger à un an les délais décisionnels. Cela génère un problème financier pour les familles, lorsqu’il y a rupture de droits lors d’un renouvellement, et une mise en échec scolaire de l’enfant. » Ce problème, déjà présent, s’est accru depuis janvier 2013, de même que la réduction des montants de PCH à la faveur d’un réexamen des droits. Le Collectif pointe également de nombreux décalages entre le besoin d’accompagnement des élèves handicapés et l’emploi du temps des AVS, et l’empiètement des temps thérapeutiques sur les temps éducatifs. « Pour nous, reprend Carine Taddia, il semble que la MDPH est défaillante. On passe tout notre temps à soutenir et aider les familles. Actuellement, on rassemble leurs témoignages dans un livre blanc. »
Lenteur et complexités administratives.
Les dysfonctionnements recensés sont déjà assez nombreux, en proportion du nombre d’enfants handicapés pour lesquels des familles s’adressent à la MDPH qui traite peu de dossiers comparativement aux adultes : « Au 1er septembre 2013, relève le Collectif, 500 enfants étaient en attente d’accompagnement (47,12%). De plus, 83 demandes d’attribution étaient en attente d’évaluation et donc non notifiées par la Commission des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée (CDAPH). Aujourd’hui ce sont encore 30 enfants qui sont en attente d’AVS notifiée, mais où sont-ils ? Quel est le suivi de leur parcours scolaire ? Aucune réponse à nos demandes. » Le Collectif constate par ailleurs que la mise en place d’outils de suivi des décisions était inscrit dans le Schéma Départemental des Personnes Handicapées 2007-2011, sans que cela soit réalisé par le Conseil Général qui n’a lancé le renouvellement de ce schéma qu’en février 2013, sans aboutir à ce jour.
Dans le même temps, les enfants grandissent alors que leur prise en charge est inadaptée ou défectueuse. Quelques exemples: Un enfant est scolarisé en 6e avec un Projet Personnalisé de Scolarité qui lui attribue un AVS pour 26 heures par semaine, mais l’accompagnant ne vient qu’à 9h au lieu de 8h, et pas le mercredi matin car il doit s’occuper de ses propres enfants! Un autre élève de 6e doit avoir 15 heures d’AVS mais celle-ci ne peut être présente que 9 heures, donc l’enfant n’est scolarisé que 9 heures! Scolarisé en Cours Préparatoire, un enfant devait disposer de 12 heures d’AVS pour 12 heures de scolarisation les lundi, mardi, jeudi et vendredi matin, mais l’AVS n’est présente que le mardi et le jeudi car elle s’occupe d’un autre enfant les autres jours… En matière de PCH, ce n’est pas mieux: renouvellement déposé pour un enfant en janvier 2013, sept mois avant la fin de droits, relance en avril. Réponse: « dossier en cours d’évaluation médicale ». Nouvelles relances en mai puis juin, et même réponse. En août, la MDPH appelle la famille pour annoncer l’instruction imminente de la demande, rupture de droits et finalement décision ultérieure d’une diminution du montant antérieur !
Cas similaire pour une autre famille, toujours pour un renouvellement déposé en mai 2013, avec relance en septembre pour savoir où en est la demande. Réponse le 29 : « le dossier est en cours d’évaluation et une proposition sera faite très prochainement », et enfin l’annonce début novembre d’une diminution de la PCH ! Les premières demandes sont également mal traitées, comme celle d’une famille qui la dépose en juin 2012, sans réponse malgré des relances, il faudra une interpellation associative pour que le dossier passe en CDAPH en mars 2013 ! Même problème avec l’AEEH, pour des parents qui déposent un premier dossier en novembre 2012, sont reçus à la MDPH en mai 2013 à la suite d’une interpellation associative et une demande finalement traitée en CDAPH en octobre 2013, presque un an après !
Carine Taddia illustre cette bureaucratie avec cet exemple caractéristique : « Une famille demande pour son enfant, en mai 2013, un ordinateur adapté suite à une évaluation par un ergothérapeute. Aucun examen du dossier avant septembre, quand la MDPH demande une évaluation Geva-sco effectuée et renvoyée en octobre, puis la MDPH demande en janvier 2014 le bulletin scolaire de l’enfant. C’est une réflexion très administrative qui ne traite plus des décisions, mais des dossiers, des formalités. » Le Collectif a repéré pendant le premier trimestre 2014 une vingtaine de familles confrontées à cette bureaucratie. « On n’a pas la capacité d’interpeller les politiques pour argumenter, ni de contacter les associations qui ont connaissance de problèmes, déplore Carine Taddia. C’est pour cela que nous voulons recenser les situations pour savoir si elles sont des cas particuliers ou un problème généralisé. » Le Collectif avait saisi, en avril 2013, le président du Conseil Général et député UMP Eric Ciotti, sans action concrète de sa part.
Une autre question, soulevée par le Collectif, ne concerne pas que les Alpes-Maritimes : celle de la prise en compte de la PCH enfant comme un revenu quand le ou les parents perçoivent le Revenu de Solidarité Active (RSA). L’organisation l’a écrit au Directeur de la Santé au Conseil Général dans l’optique de préparer une question au Gouvernement que le député Eric Ciotti pourrait poser : « Sur le terrain nous constatons l’impossibilité du choix d’option (AEEH/PCH) pour une catégorie de famille, précise Geneviève Garattini, une autre maman du Collectif. A savoir les mères seules dont le handicap de leur enfant les contraint à une cessation d’activité. L’illogisme est entre la possibilité de cumuler le RSA et l’AEEH (attribuée pour le besoin de tierce-personne) et l’impossibilité de ce cumul entre le RSA et la PCH (attribué pour dédommagement aidant familial). Au vu de la précarité dans laquelle se trouvent ces familles et des droits connexes attachés au RSA (CMU, gratuité des transports…), ces familles, pour la plupart, monoparentales n’ont guère le choix ! »
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2014.
Pour en savoir plus, faute de site internet dédié, on peut contacter le Collectif Handicap PACA par mél ou au 09 50 30 80 47/66 96 52