Comme chaque année, la rentrée des élèves handicapés a été chaotique pour une partie d’entre eux, faute notamment de personnels d’accompagnement. « Tous les moyens sont là pour répondre à toutes les notifications d’accompagnants qu’on avait, assurait pourtant la secrétaire d’Etat aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, le 19 septembre dernier sur Europe 1. Il y a encore des ajustements de recrutement, je ne vais pas le nier. » Ce n’est pas ce que constate l’association TouPI (Tous pour l’inclusion) qui, pour disposer d’éléments objectifs, a lancé une enquête auprès des parents qui ont été près de 2.000 à répondre : 683 élèves n’avaient pas d’aide humaine et 123 élèves ont été privés de scolarisation de ce fait. En extrapolant, TouPI estime entre 2.000 et 3.000 les élèves privés de rentrée, un chiffre stable par rapport à la rentrée 2017. « On recueille plutôt les appels des familles en difficulté, commente sa présidente, Marion Aubry. On observe que le bilan n’est pas plus positif que pour la précédente rentrée, voire que la situation se dégrade. On a recueilli 18% de réponses en plus, avec 36% de familles en plus qui déplorent un incident. » Les personnels d’accompagnant sont-ils en nombre suffisant ? « Les chiffres ne sont pas cohérents, » déplore Marion Aubry. La faute à une accumulation de statuts différents, entre les Auxiliaires de Vie Scolaire et les Accompagnants de l’Elève en Situation de Handicap qui ont des temps de travail différents et peuvent s’occuper de plusieurs élèves dans des établissements distincts. Selon le ministère de l’Education nationale, 175.000 des 321.000 élèves handicapés sont aidés par 110.000 accompagnants qui équivalent à 74.600 temps-plein, avec une mutualisation plus importante.
« L’aide humaine n’est pas le seul levier de scolarisation des élèves en situation de handicap, rappelle Nicolas Eglin, président de la Fédération Nationale des Associations au Service des Élèves Présentant une Situation de Handicap (FNASEPH, que présidait Sophie Cluzel avant d’entrer au Gouvernement). D’une année sur l’autre, on constate les mêmes difficultés des services de l’Education nationale à répondre en temps et en heure pour que l’accompagnement soit effectif. » Il déplore que des écoles refusent la scolarisation d’élèves sans AVS, ce qui est illégal : « Au fil du temps, il semble bien que les équipes éducatives et des parents ont considéré que la scolarisation dépendait de l’aide humaine. Dans les départements ou l’évaluation est correctement faite, d’autres solutions sont proposées. » Une approche plutôt rare selon TouPI : « Les évaluations par des professionnels ne sont réalisées que pour la Prestation de Compensation du Handicap, précise Marion Aubry. Le rôle des Maisons Départementales des Personnes Handicapées est de faciliter le projet de vie des parents. Certaines le font bien, d’autres non. Cessons d’infantiliser les parents, qui savent mieux que l’administration ce qui est bon pour leurs enfants ! » Elle déplore l’absence de dialogue avec les MDPH pendant l’instruction de la demande, et d’envoi du Projet Personnalisé de Scolarisation avant que la Commission des Droits et de l’Autonomie de la Personne Handicapée ne prenne une décision. « En fait, regrette Marion Aubry, les MDPH ne font pas ce PPS, mais une vague notification d’aide humaine. » Depuis leur création en 2006, elles n’ont pas les personnels suffisants pour instruire correctement et conformément à la loi les demandes des usagers qui demeurent les principales victimes de cette carence organisée par l’État.
Autre lacune, les aménagements pédagogiques ne sont toujours pas obligatoires : « C’est flagrant pour les troubles dys ou on met des AVS en prise de notes au lieu de recourir à l’informatique, affirme Nicolas Eglin. L’accompagnement est un élément parmi d’autres de la compensation. » Il estime que ne parler que des accompagnants à chaque rentrée est réducteur : « Les enseignants doivent pouvoir être conseillés par des conseillers pédagogiques. Il est nécessaire de développer des fonctions ressources, la question ce sont les aménagements pédagogiques et la compréhension des élèves et de leurs besoins. C’est à l’enseignant de le faire, pas à l’AVS. » Avec comme corolaire la formation des enseignants : « Le nouveau programme de formation est transversal, généraliste, elle ne se fait plus par troubles, relève Nicolas Eglin. Il n’y a pas suffisamment de départs en formation d’enseignants du second degré, les enseignants spécialisés sont massivement dans le premier degré. Les modules dans les Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education (ESPE) sont optionnels ou n’existent pas. L’enjeu est de faire comprendre aux professionnels que l’école inclusive nécessite d’adapter les besoins des élèves et de ne plus distinguer, d’enlever la logique catégorique qui s’applique à tous les élèves. L’école inclusive remet en cause les procédures. » Un chantier qui n’a pas été engagé. Autre difficulté toujours pas traitée par le ministère de l’Education nationale, les délais de fourniture aux élèves de matériels pédagogiques adaptés qui sont toujours longs et variables d’un département à l’autre, avec des procédures de financement parfois tortueuses. « Des dossiers sont montés au titre de l’Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé ou de la PCH, mais c’est complètement illégal et pose des problèmes d’accès aux droits pour la famille, constate Nicolas Eglin. Ça n’a pas changé au fil du temps. Mais on n’a pas de données, de statistiques nationales. »
Les difficultés rencontrées par les élèves handicapés lors de chaque rentrée ne concernent pas que la mise à disposition de personnels d’accompagnement, mais ce problème parvient à masquer les autres, plus fondamentaux et qui ne sont pas en voie de résolution. L’école peut nettement mieux faire pour devenir inclusive !
Laurent Lejard, octobre 2018.