Les parents et grands-parents de Chloé Cardoner font bloc autour d’elle. Née il y a 18 ans infirme motrice cérébrale, le parcours de Chloé a été maintes fois semé d’embûches que l’on a déjà évoquées ici, en 2006, quand le maire d’Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin) la privait de centre de loisirs. Ce qui avait conduit la famille à créer, avec l’Association Parentale d’Entraide aux Enfants atteints d’une Infirmité Motrice Cérébrale (APEEIMC), des sorties ou accueils temporaires selon les besoins et les demandes.
Entièrement dépendante pour les actes ordinaires de la vie mais pas privée de la parole puisqu’elle s’exprime comme tout un chacun, Chloé est allée à l’école ordinaire puis en établissement spécialisé. « Je pensais que les professionnels la stimuleraient vers le haut, ça été le contraire, déplore sa mère, Sonia. Aujourd’hui, on reprend tout pour qu’elle puisse avoir le maximum d’autonomie, vivre sa vie dans un milieu ‘ordinaire’ avec une plate-forme de thérapeutes et de services. » Et c’est reparti pour réapprendre une marche qu’elle a progressivement perdue en établissement. Pourtant, Chloé est sportive, elle fait du karaté ! Mais pas à Plobsheim où la famille s’est installée il y a deux ans et demi, et fait construire sa maison : « Chloé a très bien été reçue au club de la ville par les éducateurs sportifs, poursuit Sonia, jusqu’à ce que le président du club la refuse sans donner de raison. Alors on fait 80 km aller-retour le samedi pour qu’elle aille dans son ancien club. On bouge énormément avec elle, si on n’avait pas eu Chloé, on n’aurait pas fait autant de choses ! »
Parents et grands-parents maternels se sont alliés pour bâtir une maison familiale où chaque couple dispose de son espace de vie. Les parents de Sonia ont vendu leur appartement dont le produit a contribué au financement d’une demeure conçue pour que Chloé ait une vie autonome tout en restant avec les siens : elle dispose d’un appartement comportant une pièce à vivre partagée pour l’instant avec ses parents, sa chambre et salle de bains adaptée, avec un studio mitoyen destiné à une tierce-personne employée pour l’aider au quotidien. De nombreux entrepreneurs et dirigeants d’entreprises ont soutenu le « Chantier du coeur » lancé par la famille, en offrant des matériaux et leur main d’oeuvre : Ballastières Werny de Marckolsheim (don du gravier nécessaire pour l’extérieur), société d’électricité Weiss (don et installation électrique étage), Société de travaux publics Denni Legoll (pose extérieure du gravier), la pépinière Naegely d’Illkirch (don des plantes d’extérieur), Castorama de Lampertheim (don de radiateurs, sèche serviette, peinture), Scop Espaces Verts d’Eschau (pose du dallage extérieur), la société Gunther France (porte de garage), AG Michel de Strasbourg (don et pose du mobilier salle de bain/douche), Menuiserie Schalck de Niedermodern (pose des portes, don et installation d’une main courante), Peinture Kintz de Geispolsheim (don et pose peinture chambre et salle de bain de Chloé), société Forgiarini de Kogenheim (don du carrelage pour les salles de bain), Pole Carrelage (pose du carrelage dans la salle de bain à l’étage), Ehrhart SARL de Rhinau (don et pose du mobilier salle de bain/douche), société FMS d’Eschau (don et pose de la motorisation du volet électrique dans la pièce à vivre). Une belle solidarité qu’il fallait saluer.
Un rêve que tous ne veulent pas partager…
Une solidarité à laquelle des organismes publics n’adhèrent guère. « On a construit sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg, reprend Sonia, pour que Chloé soit plus proche de la ville et dispose des transports, des services, des loisirs. Il y un arrêt de bus à proximité, sauf que la première fois, le chauffeur de la Compagnie de transports du Bas-Rhin (CTBR) a refusé de faire monter Chloé dans l’autocar parce qu’il fallait réserver, même si la place fauteuil roulant est libre. » Sonia Cardoner n’a pas accepté cette discrimination, elle a été reçue par une représentante du Conseil Régional qui organise les transports, mais rien n’y a fait puisque le Défenseur des Droits a donné raison à la CTBR le 28 août 2018 : « La nécessité de réservation la veille d’un déplacement, qui vise à garantir la possibilité d’offrir un transport accessible et adapté aux PMR souhaitant emprunter le réseau CTBR, eu égard à la proportion des véhicules équipés, m’apparaît ainsi satisfaire aux dispositions prévues par le code des transports. » Une réponse qui s’assoit sur l’article 9 de la Convention internationale des droits de la personne handicapée qui stipule « Afin de permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie, les États Parties prennent des mesures appropriées pour leur assurer, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès [aux] transports », Convention dont le Défenseur des Droits est (mal) chargé du suivi de mise en oeuvre en France…
La CTBR peut donc continuer à imposer aux usagers en fauteuil roulant des horaires pour l’aller et le retour. « Si j’avais la ‘gnaque’ et les sous, enrage Sonia, j’irai au tribunal, d’autant que notre premier constructeur nous doit de l’argent ! » Effectivement, le premier entrepreneur qui a encaissé 5.000€ sans rien faire, est condamné en justice mais s’est organisé pour ne pas payer sa dette et les dommages et intérêts. Côté mairie, la famille a été traitée comme les autres, sans que soit lui accordée une exonération des 5.000€ de taxe d’aménagement. « Tout le monde a besoin d’argent pour aménager son logement, justifie la maire de Plobsheim, Anne-Catherine Weber. On a refusé toute demande de qui que ce soit. On a accordé certaines dérogations au permis de construire, dans la limite de l’acceptable par rapport aux autres habitants, sans accorder plus de choses à une famille qu’à une autre. » Maire qui reste également droite dans ses bottes pour expliquer le refus de prêter gratuitement une salle pour organiser un événement de collecte de fonds : « Nous accordons le prêt de salle aux associations locales pour animer la vie du village. Alors que là on se retrouvait à aider une famille. » Pourtant, les Cardoner ont créé leur association, « Chloé, un projet pour la vie« .
Rien d’étonnant à ce que Sonia Cardoner ait le sentiment que la maire de Plobsheim soit peu ouverte au handicap : « Après 18 ans de combat, je suis fatiguée, déplore Sonia. Je compte sur des gens compétents, engagés. On est bloqués financièrement, on n’a plus d’aide. » Il leur fallait 450.000€ pour créer une maison parfaitement adaptée, ils doivent se contenter de 320.000€ dont 10% consacrés aux aménagements pour Chloé. « Je dis merci à toutes les personnes qui nous ont aidé, se sont mobilisées, conclut Sonia. Mais il y a une perte de souffle. L’étage à été bâclé, faute de moyens mon mari a fait ce qu’il a pu. Le studio de la tierce-personne est fini, conduit par un chantier d’insertion. » Pour terminer son « Chantier du coeur », la famille Cardoner cherche encore d’autres dons et compte sur tous ceux qui voient la volonté des parents d’assurer l’avenir de leur fille handicapée dépendante, et les soutiennent avec la plus grande humanité pour que la maison de leurs rêves ne se transforme pas en cauchemar.
Laurent Lejard, avril 2019.