« Quand le destin frappe à la porte« , tel est le récit que publie Sabrina Barbe aux éditions Sydney Laurent. Elle y raconte le bonheur conjugal et familial détricoté dès la naissance de leur seconde fille, Mila, trisomique, il y a 10 ans maintenant. A peine le temps de voir le bébé qu’un médecin lui propose une procédure d’abandon ! Puis ce sont les soins, les structures médico-sociales défaillantes et la très active Sabrina devient maman au foyer à plein temps pour s’occuper de sa Mila et la faire progresser. Il lui a fallu se battre contre la Maison Départementale des Personnes Handicapées et sa Commission des Droits qui voulaient imposer des décisions prises sans jamais recevoir ni évaluer autrement que sur dossier, convaincre les équipes éducatives, les enseignants, les personnels de service. Face aux difficultés réitérées rencontrées en Drôme provençale, la famille s’est déplacée plus au sud, à Beaucaire (Gard) où une école avec Unité Localisée d’Inclusion Scolaire (ULIS) avait adressé ce message : « On a hâte de te voir, Mila! ». Mais Fabrice, le mari de Sabrina, n’a pas pu bénéficier d’une mutation, ce qui le contraint à faire matin et soir plus de 100 kilomètres pour aller travailler sur un poste qui ne lui convient guère…
Question : Dès la naissance de Mila, la maternité vous a proposé de l’abandonner; c’est une demande également vécue par d’autres parents ?
Sabrina Barbe : Je suis tombée, le 21 mars journée internationale de la Trisomie 21, sur une émission de France 2 présentée par Sophie Davant, dans laquelle des parents ont témoigné de la même expérience, cette proposition d’abandon qui leur a été faite et qu’eux ont acceptée quelques mois plus tard…
Question : Vous racontez une situation de désarroi face aux politiques séparées dites « en silo », aux parcours décidés d’avance, l’IME puis l’ESAT…
Sabrina Barbe : C’est ça; c’est ce qui est proposé. Après, tout dépend des compétences et des appétences de l’enfant. Selon, il sera orienté vers un Institut Médico Educatif ou une ULIS école. On estimait avec les thérapeutes et mon instinct de maman, on voyait Mila tout à fait compétente et capable d’aller à l’école dans un cycle ordinaire, et c’est pour cela que j’ai tenu bon. Depuis un an qu’on est installés dans notre nouvelle vie, les enseignants de Mila nous confortent et nous disent qu’on a bien fait, « évidement qu’elle a des compétences, elle a sa place à l’école » !
Question : Le cadre de prise en charge est rigide; il faut le bousculer pour faire rentrer des enfants dans des cases qui n’existent pas ?
Sabrina Barbe : Exactement. On ne comprend même pas, en tant que parent, comment un GEVA-Sco [évaluation des besoins de l’élève handicapé] peut exister. Nos enfants sont différents, on ne peut pas les faire entrer dans des cases. Donc les cases ont été multipliées, et c’est impossible, il y a tellement de pathologies, d’invalidités, de taux constatés, c’est juste une aberration. On a parlé d’aberration chromosomique quand ma fille est née, c’est le premier mot que j’ai entendu quand elle est venue au monde. C’est une aberration aujourd’hui que ce système scolaire !
Question : Mila est de fait confrontée à l’école inclusive à la française…
Sabrina Barbe : Elle est dans un schéma école inclusive à Beaucaire, en cours préparatoire parce qu’on a perdu trois années. Elle fait des temps d’inclusion dans le dispositif ULIS proposé par le système, où elle est accompagnée par une coordinatrice dans ses apprentissages en français et mathématiques.
Question : Pour que Mila reçoive une éducation qui lui offre un avenir, l’ensemble de la vie de famille, de couple, est impactée par un déménagement parce que l’Éducation Nationale ne peut pas proposer la même qualité de prise en charge sur tout le territoire ?
Sabrina Barbe : On en a pâti depuis des années. Dans notre vie d’avant, on avait une belle situation mais j’ai dû reléguer ma vie professionnelle. On a dû se séparer de notre vie à Donzère, de notre grande et belle maison, Lola la soeur de Mila a renoncé à sa vie personnelle de collégienne pour parier sur un avenir pour Mila. Le pari est réussi, ça se passe très bien, mais on a encore des dommages. J’ai repris une activité professionnelle depuis le mois d’août, Lola est assez sociable et a reconstruit une vie de collégienne, c’est à mon mari de trouver une solution professionnelle. A chaque fois, on en a pâti. Il y a tant à faire avec l’Education Nationale, à chaque fois il faut faire preuve de résilience.
Question : Et du côté de la MDPH, vous avez constaté une différence ou c’était la même chose ?
Sabrina Barbe : La même chose ! On a dû envoyer trois fois la demande de transfert de dossier à la MDPH du Gard. Elle a mis plus d’un an pour le récupérer. Par contre, il a fallu moins d’un an pour que Mila obtienne une place au SESSAD [Service d’éducation spéciale et de soins à domicile] Geist 21 de Nîmes, elle a été prise en septembre, on a attendu neuf mois contre trois ans dans la Drôme.
Question : Écrire ce parcours est un exutoire, on le sent en le lisant, mais ça a été douloureux ?
Sabrina Barbe : Oui. Ça a été très douloureux de me remettre dedans, thérapeutique certes, un exutoire on est bien d’accord, d’autant que j’aime bien écrire. Mais au-delà, quand Mila est née je n’ai trouvé aucun ouvrage qui traitait du parcours d’un parent. Je me suis renfermée sur moi-même à l’époque, et je voulais lire un vécu de parents d’enfants différents. Je n’ai trouvé que « Mon enfant, ma douleur, mon bonheur » [Monique Lafon, éditions Acropole, 1989], un parcours qui datait de 20 ans. Au-delà des réseaux sociaux où l’on trouve des solutions, je voulais vraiment un livre. Des ouvrages ont été écrits entretemps, comme le roman graphique de Fabien Toulmé « Ce n’est pas toi que j’attendais« , celui de Caroline Boudet qui traitait de son enfant de 10 mois. Je me suis dit « fais-le si tu aimes écrire, on verra bien si ça aboutit ». J’ai écrit, contacté des maisons d’édition, et ça a donné ce que vous avez entre les mains. Si un parent quelque part a envie de savoir ce qui l’attend, ce qui est possible ou pas, ce qu’il faut anticiper, ma victoire est là. Trois semaines après la sortie du livre, j’ai reçu le message d’une maman qui ne savait pas comment anticiper la scolarité de son enfant, elle l’a lu et ça lui a donné une pêche d’enfer. J’ai aidé quelques mamans, dans ce sens mon objectif est atteint.
Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2020.
Quand le destin frappe à la porte, par Sabrina Barbe, éditions Sydney Laurent, 9,99€ en ebook et 18,90€ imprimé. Sabrina Barbe écrit également des chroniques sur les femmes dans Les Blogueries d’Anna.