Les faits sont terribles : dans la Maison d’Accueil Spécialisée Virginie gérée par l’Association Intercommunale de Parents d’Enfants Inadaptés (AIPEI) à Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), des pensionnaires handicapés mentaux ou autistes ont subi des coups, des brûlures volontaires, des fractures. Des violences institutionnelles, malheureusement aussi habituelles que rarement sanctionnées puisque, pour la justice, c’est la parole des victimes contre celle des personnels soupçonnés d’avoir commis ces actes ignobles. Sauf que, pour cette MAS, la ténacité de trois mères à défendre leurs enfants vient de payer : un pseudo-éducateur a été condamné le 26 février dernier par le Tribunal Judiciaire de Bobigny à 10 mois de prison ferme pour avoir frappé à coups de bâton, le 18 juin 2019, le jeune Tédrick âgé de 30 ans. Les hématomes sur les jambes et les bras étaient encore visibles quand il est revenu en week-end chez sa mère, Monique François, qui avait constaté précédemment bien d’autres marques : « On me répondait que mon fils était agité, mordu par d’autres, se cognait, tombait, que ses vêtements étaient déchirés parce qu’on voulait le retenir. Mon fils parle à demi mot. Il ne voulait plus retourner à la MAS, il ne parlait pas, pensif, comme s’il était ailleurs, recroquevillé sur sa souffrance. »

Bastonnade

Mais le 18 juin 2020 au retour d’une activité, la bastonnade infligée par le pseudo-éducateur a été filmée avec un téléphone mobile puis diffusée sur des réseaux sociaux et communiquée quelques semaines plus tard à Monique François, par une ancienne éducatrice croit-elle savoir. La vidéo montre l’agresseur un bâton à la main alors qu’une accompagnatrice dit : « Arrête, il va te taper ! » Les coups pleuvent, le pseudo-éducateur ajoute : « Je vais te péter les dents. A la MAS, tu vas voir ! » Révoltée, Monique François a porté plainte le 25 juillet, et tout s’est emballé : le Tour de France venait de s’achever, les médias manquaient d’actualité et cette violence a fait les gros titres, conduisant la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, à qualifier les faits d’accablants et demander la mise sous administration provisoire immédiate de la MAS ainsi que le retrait de la gestion de l’administration à l’association AIPEI, compte tenu des manquements que l’inspection a révélés. Cette organisation qui n’a plus de directeur et dont le président est aux abonnés absents gère cinq autres établissements médico-sociaux dans le 93.

La justice fait diligence pour l’un…

MAS Virginie

L’affaire a été rapidement instruite et elle aurait été jugée dès juin 2020 si l’épidémie de coronavirus n’avait pas entraîné un report de l’audience. Lors du débat judiciaire du 19 février dernier, il est apparu que l’agresseur n’avait que le brevet d’animateur loisirs (BAFA) mais était employé comme éducateur sans en avoir reçu la formation. Il avait également été condamné pour plusieurs délits, avant et après sa majorité. Ni lui ni l’aide médico-psychologique (AMP) qui l’accompagnait ne se sont présentés au tribunal : verdict, 10 mois de prison ferme pour l’agresseur, six mois avec sursis pour l’AMP qui avait l’obligation légale de signaler les faits au Procureur de la République et à l’Agence Régionale de Santé d’Ile-de-France. Mais à quoi cela aurait-il servi ? Dès 2014, trois ans après son ouverture, des parents ont dénoncé à cette ARS des actes de maltraitance et de violences attribués aux personnels de la MAS Virginie. Les inspections ont conduit à des injonctions et recommandations mais la maltraitance et les violences ont continué. Plusieurs plaintes ont été déposées, sans suite, dont deux en 2018 avec constitution de partie civile ce qui a évité leur classement par cette grande lessiveuse qu’est le Parquet.

Arnaud, jambe brûlée et cloque

L’une émane d’Hélène Ripolli, maman d’Arnaud, 48 ans : elle avait constaté une fracture de la main et une brûlure de la jambe au second degré. La première lors d’un séjour de rupture des pensionnaires dans la Nièvre lors duquel l’un des trois véhicules a fait une sortie de route avec tonneaux ; Arnaud était-il dedans, personne ne se souvient des circonstances ! La seconde lors d’une douche dans une salle sans mitigeur limitant la température, équipement pourtant obligatoire. « Du séjour de découverte, mon fils était revenu la main remplie de bleus. En fait, en insistant, il a pu passer une radio et on a constaté une fracture de la main gauche après trois semaines de délai. Pour la brûlure, il y avait une fausse déclaration sur l’horaire, et concernant l’accident, une salariée ou ex-salariée mise au courant a appelé anonymement en août 2018 le 3977 Allo Maltraitance, signalement qui a atterri au Défenseur des Droits. » Les services du Défenseur des Droits qui soutenaient les familles ont conseillé à Hélène Ripolli de rechercher elle-même des témoignages d’employés, et cela a fini par délier quelques langues.

L’autre plainte, toujours en cours d’instruction, date d’avril 2019, déposée par Isabelle Casteret : « Ma fille Elodie [30 ans] revenait tous les 15 jours avec de gros bleus aux jambes. On me répondait qu’elle se jetait sur un canapé, se cognait. Elle était dans l’établissement depuis son ouverture en 2011, tout en constatant qu’il ne fonctionnait pas correctement : 12 directions différentes, des personnels tournants, beaucoup d’intérimaires, des lettres anonymes, deux clans dans la structure, de nombreux employés sans diplôme faisant fonction, des faux diplômes, un gros problème de recrutement. Beaucoup de personnels viennent de l’aide à domicile. L’ARS du département de Seine-Saint-Denis a été alertée, elle a fait deux inspections où tout allait bien, avec quelques injonctions. » Mais tout de même, des procédures sanitaires et médicaux non respectés, des problèmes avec les repas et le respect de la chaîne du froid, une infirmerie sale, du linge détérioré.

Tédrick, hématome cuisse gauche

La MAS gérée par l’AIPEI a poursuivi ses activités jusqu’à la vidéo de juin 2019 et le scandale public de sa publication entraînant la mise sous administration provisoire puis le transfert au Groupe SOS en février 2020. « Il a affecté une directrice provisoire pour essayer de remettre la structure sur les rails, reprend Isabelle Casteret, pour vérifier les qualifications et stabiliser les personnels. Une nouvelle directrice est en poste depuis le 1er mars mais mutualisée avec d’autres établissements. » Le Groupe SOS précise qu’il appartient aux directeurs d’établissements de vérifier la qualification, les antécédents et diplômes des embauchés, leur demande le bulletin n°3 du casier judiciaire mais ils ne requièrent pas la consultation du fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais) : « Dans le contrat de travail, nous mentionnons que le salarié atteste n’avoir aucune condamnation aux casiers judiciaires B2 et B3, et qu’il s’engage à informer le Groupe SOS, dans le cas où une condamnation venait s’y inscrire. » Il précise que 20% de l’effectif de la MAS Virginie a été renouvelé et que les « personnes embauchées sont toutes diplômées et ont toutes une expérience des troubles du spectre autistique ».

La parole des autres ne compte pas

Tédrick, brûlure de cigarette au pied droit

Pourquoi a-t-il fallu attendre la publication d’une vidéo pour que le ménage soit fait dans cet établissement ? « J’ai assisté il y a longtemps à une conférence sur le mieux-être des personnes handicapées, avant la loi du 2 janvier 2002, explique Hélène Ripolli. J’avais à l’époque récupéré mon fils après qu’il ait subi des maltraitances dans un établissement médico-social qui l’accueillait à cette époque, qui se sont terminées par un non-lieu en 2000. Dans cette conférence, un juge évoquait la parole des personnes vulnérables : voilà le problème avec vos enfants, ils ne parlent pas normalement, ne répondent pas forcément à la question qu’on pose. C’est pour cela que les plaintes n’aboutissent pas, à cause de leur parole, leur élocution. J’étais abasourdie. » Isabelle Casteret l’a directement vécu : « Lorsque j’ai porté plainte à Bondy, le policier m’a dit : les usagers ne parlent pas. Je suis revenue avec ma fille pour qu’il constate. Elle lui a répondu avec ses mots, en disant qu’ils étaient méchants, qu’ils tapaient. Le policier l’a consigné sans que cela puisse porter préjudice à la procédure, en la laissant parler. Il a reconnu qu’il n’était pas formé pour cela. Le fils de Madame François parle, mais la parole de nos enfants ne compte pas. Le personnel n’est jamais mis en cause. C’est la vidéo sur Tédrick qui a fait tout exploser, amenant le juge de Bobigny à évoquer un dossier énorme qui est un vrai panier de crabes. » Ce dont Hélène Ripolli tire cette leçon : « Les vidéos, les réseaux sociaux, merci ! Mais c’est quand même terrible. »

Laurent Lejard, mars 2021.

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