« Il n’y a que Maman qui s’occupe de moi en ce moment, déplore Chloé Cardoner. Elle cherche des auxiliaires de vie [AVS] pour faire des activités, mais n’y arrive pas. Comme elles ne sont pas là, je m’ennuie. » Pourtant, les parents de cette jeune femme infirme motrice cérébrale ont fait le choix de s’installer dans une belle maison moderne à une douzaine de kilomètres de Strasbourg (Bas-Rhin), à Plobsheim sur le territoire de l’Eurométropole pour être plus proche de la ville et de ses commodités. Une appellation ronflante mais visiblement vide de contenu lorsque l’on vit avec une enfant handicapée motrice dépendante. « Pour se déplacer, Chloé doit réserver sa place au moins la veille dans un autocar de la ligne régulière de la CTBR [transports interurbains du département], explique sa mère, Sonia. Ça, c’est pour l’arrêt le plus proche, sinon il faut aller à la mairie à 15 minutes à pied pour prendre le bus de Strasbourg, sans réservation. Mais c’est impossible à faire sans aide humaine. »
Des professionnels rigides…
Malgré la proximité de l’Eurométropole, la famille Cardoner ne parvient pas à trouver les aides humaines nécessaires au quotidien de Chloé. « Dans son projet de vie, poursuit sa mère, il était question de continuer l’accueil temporaire en internat trois jours chaque quinzaine pour qu’elle continue à voir ses amis au Foyer d’Accueil Médicalisé Les Cigales, avec un relais en milieu ordinaire assuré par le Service d’accompagnement à la vie sociale de l’APF sur les autres jours. Mais une éducatrice spécialisée et un ergothérapeute sont passés il y a deux semaines pour étudier cet accueil, et ils ont finalement proposé, par défaut, un autre établissement médico-social avec des pensionnaires que Chloé ne connaît pas. » La jeune femme est donc priée de repartir de zéro côté relations amicales, ce qui est très compliqué pour elle du fait de sa pathologie : « Ils m’ont demandé si je voulais voir des adultes, j’ai répondu que je voulais voir mes copains ! appuie Chloé. Je ne vois plus mes amis que sur Facebook. Ils ont des difficultés pour se déplacer parce qu’ils sont en établissement médico-social, des jeunes répartis sur tout le Bas-Rhin et dépendants d’autorisation de sortie. » Elle est privée de leur contact direct depuis le début de la pandémie de Covid-19, en mars 2020 : « Je vous avoue franchement que j’en ai marre de ne plus voir mes copains ! »
Chez elle, dans l’appartement que ses parents lui ont aménagé dans la maison familiale, Chloé ne peut plus réaliser ses activités de prédilection : activités manuelles, tableaux en mosaïques, cuisine… Cette situation a des effets sur l’équilibre de la jeune femme : « Depuis quelques temps, ajoute sa mère, Chloé se révolte par de grosses crises de nerf. L’accord pour aller en accueil de jour le lundi à compter du 13 septembre a été annulé. En fait, Chloé est en prison mais dehors : plus de sorties au cinéma avec l’AVS, ou dans les magasins, les musées. Elle ne peut qu’accepter ou refuser ce qu’on lui propose, elle n’est pas écoutée. Chloé est fragilisée par la crise et a besoin de retrouver ses repères précédents. » Face à elle, la pénurie d’AVS, des personnels peu ou pas formés déplore Sonia : « Je dis aux nouvelles AVS de donner un objectif à Chloé pour lui faire gagner de l’autonomie. La dernière est allée jusqu’à l’école où elle avait son téléphone en main, c’était la promenade de l’AVS ! On a acheté Monsieur Cuisine, approuvé par l’ergothérapeute, pour que Chloé puisse cuisiner plus facilement avec la présence de l’AVS, ses deux propositions de recette étaient un cake salé et une pizza, pas du tout équilibrés nutritivement, du n’importe quoi : ce que l’AVS avait envie de faire parce que Chloé n’est pas force de propositions. »
…qui déstabilisent une jeune femme
Chloé raconte ce qu’elle a vécu : « J’ai proposé, elle m’a dit ‘je vais faire autre chose’. Par exemple, je voulais faire un gâteau et elle m’a répondu ‘j’ai autre chose à faire’. Elle passait des appels téléphoniques personnels à son copain, ses enfants. » La mère de Chloé constate et déplore que les AVS soient formés à donner la douche, faire la promenade et les changes, mais pas au projet de vie autonome : « Les dernières employées découvraient ça mais ne le faisaient pas. L’une avait travaillé deux ans en maison de retraite. Le personnel n’est pas formé au projet de vie d’un jeune adulte. Ils assurent seulement le maintien en survie. » Sonia a nettement mesuré l’écart entre des parents soucieux que leur fille mène la vie la plus autonome possible, décide pour elle-même, et la pratique routinière « bouffe-chie-dort » de la plupart des personnels d’aide humaine à domicile.
Alors c’est en famille que Chloé sort et vit des loisirs, au Domaine du Hirtz, à l’Écomusée d’Alsace, ou Europa Park. Côté soins, son entrée dans la vie d’adulte ne lui laisse plus que trois séances de kiné par semaine, une séance d’orthophonie et la reprise du SAVS pour une demi-journée tous les 15 jours, hors temps de vacances. Côté internat, 3 jours sur 15, la situation est bloquée : la direction est d’accord pour un accueil à temps plein mais pas séquentiel comme souhaité dans le projet de vie. « L’établissement est très fermé sur la transformation de l’offre, déplore Sonia. L’usager doit se caler sur le professionnel. On me répond qu’avec les autres familles tout se passe bien, mais les autres familles n’ont pas forcément la volonté de tirer leur enfant vers l’autonomie, et de ce vivre en milieu ordinaire qui est un vrai parcours du combattant ». Ce conflit entre un projet de vie et des professionnels imposant leur routine, c’est Chloé qui en subit les conséquences : « Hugo [l’un de ses amis] m’a demandé pourquoi je ne venais pas aux Cigales, j’ai répondu ‘ils veulent pas’. Je trouve franchement que leur comportement est bête ».
Laurent Lejard, septembre 2021.
PS au 28 septembre : « Tout était ok pour un accueil de 3 jours au FAM « Les cigales » fin octobre, écrit Sonia Cardoner. Et hier nous avons reçu un message téléphonique de Monsieur Danti [Directeur du Pôle Adultes de l’ARAHM] pour nous dire ce qui nous a été confirmé par courrier (suspension faute de personnel de l’accueil temporaire). J’ai demandé à Monsieur Danti au moins la possibilité d’un accueil de jour un jour par semaine pour que Chloé puisse revoir ses amis. Je suis dans l’attente d’une réponse qui j’espère sera positive car Chloé fait de plus en plus de crises de nerf sans parler de sa rechute concernant les crises d’épilepsie. La situation de Chloé est une forme de maltraitance. »