Ils n’ont été que moins de 5.000 depuis un an, les aidants familiaux à bénéficier de l’allocation journalière de proche aidant, un congé payé 43 à 52€ par jour pendant 66 jours maximum renouvelable 3 fois sur l’ensemble d’une carrière professionnelle. Soit 12 trimestres sur 168 ! Face à cette réalité, la ministre chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, n’est venue ouvrir les 2e Assises nationales des aidants qu’avec une seule proposition : une mission de préfiguration confiée à la plate-forme Responsabilité Sociétale des Entreprises de l’officine gouvernementale France Stratégie : « Cette plate-forme devra proposer des leviers pour mobiliser les entreprises en faveur des salariés aidants. Une situation particulière sera portée sur la situation des petites entreprises, et le recours des congés proches aidants, qui démarre lentement, peut-être faute de publicité et d’information. » Mais pas parce que la période est trop courte ou que la rémunération de 946 à 1.144€ pour un mois complet ne permet pas de vivre tout en aidant un parent proche !
Sa collègue Sophie Cluzel, secrétaire d’État aux Personnes handicapées, a twitté le même propos : « On a mis en place un congé pour aider les aidants. Mais il n’est pas assez connu. Il y a une réticence à se déclarer aidant au sein de son entreprise et à le demander. » Faux : 15.900 salariés l’ont demandé et moins du tiers l’a obtenu, la faute aux conditions restrictives d’accès à ce droit et à la complexité administrative. L’autre remède de Madame Cluzel repose sur les plate-formes de répit pas assez utilisées selon elle. Elle oublie toutefois que le Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2022 ignore la question, ce qui n’a pas échappé au réseau ADMR (Aide à domicile en milieu rural) : « Le sujet n’est pas évoqué alors que se termine en fin d’année l’expérimentation du ‘relayage’ dont les premiers résultats sont très positifs et qui pourrait soulager des centaines de milliers de nos concitoyens engagés aux côtés de leurs proches. » Autres sujets que les ministres se contentent de citer pour ne pas les traiter : les difficultés quotidiennes, la surcharge physique et mentale de travail de ceux qui cumulent emploi et aidance.
Personnels revalorisés, mais qui va payer ?
Si la situation des aidants familiaux stagne, celle des personnels de l’aide à domicile évolue nettement, du moins pour ceux qui sont employés par des prestataires agréés : leur rémunération est revalorisée à compter de ce mois, jusqu’à 15% de hausse grâce à l’agrément national d’un avenant à la convention collective de branche. Sauf qu’il y a un os : le Gouvernement subordonne le financement pour moitié de ces augmentations à l’accord de chaque Conseil Départemental pour le compléter. Certains ont déjà refusé, d’autres pas encore décidé de suivre. Or, les organismes employeurs sont tenus de payer les salaires revalorisés ; on peut redouter une cascade de cessations de paiement dans les départements où la Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) ne versera pas sa contribution du fait du refus ou de l’abstention du Conseil Départemental. Président de l’Unapei, Luc Gateau reconnaissait récemment, lors de la journée de rentrée de l’Uniopss, qu’il s’agissait d’un saut dans l’inconnu.
Le médico-social en crise
Accordées sous la pression des personnels de santé engagés corps et âme dans la lutte contre la pandémie de Covid-19, les revalorisations salariales du Ségur de la santé ont eu deux résultats immédiats : une nette amélioration du pouvoir d’achat de ceux qui l’ont touché (+2.200€ à l’année) et une mise en concurrence entre les professions et secteurs revalorisés et ceux qui ne l’ont pas été. Là, le ministère de la Santé a oublié l’empilement des statuts (public, privé non lucratif, privé lucratif) et étalé les augmentations dans le temps. Résultat : une infirmière débutante gagne 700€ de plus à l’hôpital que dans un établissement médico-social (une aide-soignante 500€), les démissions s’accélèrent et des pensionnaires sont en grand danger : « Déjà trois morts en Gironde dans le champ du handicap, titrent une vingtaine d’associations dans un communiqué commun. La situation a continué et continue de se dégrader dans toutes nos structures et nous comptons désormais nos premiers morts. Car, c’est bien la non prise en compte du champ du handicap dans les mesures du Ségur depuis 15 mois qui a entraîné des départs massifs des personnels soignants et d’accompagnement et donc une insuffisance dans la permanence des soins jamais vue pour des publics ultra vulnérables allant jusqu’à leur décès. » Des levers à 11h30, un repas supprimé chaque jour, une douche tous les deux jours, la régression de la qualité de vie de pensionnaires polyhandicapés fait peur.
Un désastre annoncé qui conduit l’Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uniopss) à sonner le tocsin et lancer une mobilisation nationale lors de sa journée nationale de rentrée du 6 octobre. « Les associations sont aujourd’hui confrontées à des inégalités et des injustices qui se répercutent sur les publics aidés ou soutenus – inégalités entre le secteur public et le secteur privé non lucratif, inégalité de reconnaissance du travail par les pouvoirs publics, inégalités de rémunérations à niveau d’étude comparable », a exprimé son président, Patrick Doutreligne. « Au sujet des métiers, a complété Patricia Sitruk, directrice générale de l’Oeuvre de Secours aux Enfants, on se trouve face à un cloisonnement complet des décisions politiques. Par exemple, on va prendre des décisions sur les soignants, et on va dire que les soignants du médico-social peuvent en bénéficier. Sauf qu’on oublie qu’il y a du personnel éducatif qui travaille main dans la main avec les personnels soignants ». Elle rappelle également que, dans le cadre de l’aide à l’enfance, une partie importante des enfants pris en charge relève d’un handicap qui peut être reconnu par la Maison Départementale des Personnes Handicapées : « On se retrouve avec des décisions cloisonnées, alors que de plus en plus les réponses de terrain tentent d’être décloisonnées. » Luc Gateau a cité quelques résultats de cette politique en silos : recours au bénévolat en Loire-Atlantique, une cinquantaine de postes vacants dans les Hauts-de-Seine où des usagers sont renvoyés dans leurs familles. A cela s’ajoute une réduction de moitié ces huit dernières années du nombre de personnes formées dans l’ensemble des métiers du social, a souligné Patricia Sitruk. Tout cela alarme l’Uniopss dont le président annonce déjà la prochaine échéance : la non assistance à personnes en danger.
Laurent Lejard, octobre 2021.