Le duo De Françoise à Alice a achevé début mai, à la Maison de la Culture de Bourges (Cher), une saison riche d’expériences et de rencontres, qui sera suivie à partir de septembre d’une quinzaine d’autres représentations. Ce duo dansé unique d’une mère bientôt sexagénaire et de sa fille trisomique encore vingtenaire, empli de complicité, d’affirmation de soi, de crises et d’amour, a préparé Alice à évoluer vers la profession de chorégraphe. Soutenue par sa compagne Agathe (elles se marient en juillet), sa mère Françoise et le danseur chorégraphe Mickaël Phelippeau, elle expose dans un entretien à quatre sa motivation. Alice a bénéficié d’une bourse d’études en danse, et est autrice d’un livre illustré par elle, « Je suis Alice Davazoglou & Je suis trisomique normale mais ordinaire. » Tous ont le désir de poursuivre leur collaboration, en bénéficiant notamment du soutien et des moyens du nouveau Centre National de Création Adaptée de Morlaix (lire ce reportage.)
Question : De Françoise à Alice est un duo qui a fonctionné sur scène pendant une trentaine de représentations. D’où est venue l’envie de danser ensemble ?
Françoise : On avait dansé séparément d’abord, toi Alice dans ton cours d’adolescente, et moi dans le cours adultes. On a commencé à danser ensemble un peu avant la création d’Art 21. Au sein de cette association, on a rencontré Mickaël Phelippeau et c’est comme cela que la pièce est née. Il nous a proposé de danser toutes les deux ensemble d’abord, et ensuite Agathe nous a rejointe comme complice de la pièce.
Question : Qui est Agathe ?
Agathe : Je m’appelle Agathe, j’ai 37 ans. Je suis en couple avec Alice. Je suis secrétaire adjointe d’Art 21, danseuse et interprète dans la pièce Françoise à Alice.
Alice : Par contre, si je peux dire, quand je vais devenir chorégraphe, on va faire une pièce avec Agathe, Entre femmes de coeur.
Question : Et là, entre Françoise et Alice c’est aussi une affaire de coeur ?
Françoise : Oui, il y a beaucoup de choses qui nous lient toutes les deux, ainsi qu’à Mickaël et Agathe, et par rapport au propos de cette pièce.
Alice : C’est parfois émouvant, beau, parfois ça rigole, c’est très drôle !
Question : Mickaël, vous êtes rentré comment dans Art 21 et cette complicité entre Françoise et Alice ?
Mickaël Phelippeau : Ça a été très simple. L’invitation qu’elles m’ont faite pour le tout premier atelier a été un moment très fort d’émotion, dont un solo qui avait émergé. Françoise m’avait dit : « parfois on a des pépites comme ça. » Il avait dépassé le cadre qu’on avait proposé. C’est la première fois que je donnais un atelier à un public mixte de personnes en situation de handicap mental et dites valides. On a continué à travailler pendant une année sur un projet entre danse et photographie. On a beaucoup échangé sur leurs parcours, nos vies, et tous ces moments de partage et de récits ont fait que quelques mois plus tard on a passé une semaine ensemble, et à la fin on a continué l’aventure.
Question : Qu’avez-vous appris en travaillant avec Alice, Françoise, Agathe ?
Mickaël Phelippeau : Tellement de choses ! On a travaillé à partir de qui elles sont, pas d’une matière abstraite ou extérieure. Tout est venu d’elles. Au-delà de la pièce, c’était une telle ouverture, un tel accueil, une telle générosité dans le quotidien et le travail…
Alice : On a appris toutes les deux aussi. J’ai appris à co-animer avec Mickaël, c’était la première fois.
Mickaël Phelippeau : Moi aussi. Je pense sans fausse modestie avoir plus appris de vous.
Françoise : Et il y a la question de votre co-animation au Centre National de la Danse pour une formation de danseurs professionnels dont certains sont en situation de handicap. Là, tous ont appris, vous, nous, les stagiaires, les danseurs valides ou handicapés, dans le fait de travailler tous ensemble. On a tellement vécu, on s’est tellement lancé dans cette aventure avec chacun nos bagages, et on a appris des spectateurs qui nous renvoient des choses.
Alice : Ils nous posent des questions quand on fait des bords plateau [échange avec le public NDLR]…
Françoise : Par exemple, je me souviens d’un jeune homme qui, lors d’un bord plateau, nous a dit ce qu’il pensait de la pièce, ce qu’il avait apprécié, et a fini par dire « Françoise vous avez fait 780 pas et le prénom d’Alice a été prononcé 16 fois. » On ne l’aurait jamais su sans le rencontrer !
Question : Alice, vous voulez devenir chorégraphe. Comment vous former alors qu’il n’existe pas de formation adaptée de danseur ou chorégraphe handicapé ?
Alice : J’ai demandé à Mickaël de nous accompagner Agathe et moi pour notre pièce, d’être « regard extérieur. » J’ai envie de devenir chorégraphe parce que pourquoi les non-handicaps ont droit d’être chorégraphes, de faire des pièces et tout ? Nous les handicaps, on peut faire aussi ! On peut essayer.
Françoise : Et toi Agathe, être interprète ça te fait envie ?
Agathe : Je pense que oui.
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2022.